France
Cœur de Thibault de Montaigu
Albin Michel, 336 p., 21,90 €
Pourquoi le capitaine Louis Tassin de Montaigu a-t-il précipité les hussards du 7e régiment de cavalerie dans un affrontement aussi périlleux face aux canons allemands ? En 1914, l’art de la guerre ne se joue plus sur le dos des chevaux. Mort au champ d’honneur le 30 août 1914 à Rethel, dans les Ardennes, ce personnage reste une énigme pour son propre descendant, Thibault de Montaigu. C’est la tâche que lui confie son père Emmanuel, décrit comme étant un « octogénaire au cœur fatigué » : « J’aimerais que toi, tu écrives l’histoire de Louis. »
Une quête familiale
Le fils se montre sceptique. « Nul ne peut pénétrer les tombes, nul ne peut réveiller les morts. Nul ne peut écrire un livre qui n’existe pas », rétorque-t-il. Pourtant, il finit par réaliser que l’histoire de Louis est intimement liée à l’héritage familial et aux émotions profondes de son père. « Ainsi chacun de nous est soumis à des lois non écrites, à des loyautés invisibles, remontant à nos ancêtres qui nous poussent à reproduire, de manière inconsciente, des conduites ou des événements passés », souligne l’écrivain.
Les recherches de Thibault de Montaigu
Pour percer le mystère autour de Louis, Thibault se lance dans des recherches minutieuses : fouiller les archives militaires au château de Vincennes, explorer les greniers familiaux… Le temps presse, car son père s’affaiblit, accablé par ce projet confié : « Pourquoi ne pas lui écrire un livre pour tenter, à ma façon, de le garder encore un peu en vie ? »
Qui est vraiment Louis de Montaigu ? Derrière le portrait héroïque du hussard se cache un ancêtre tourmenté, qui a manqué son entrée à Saint-Cyr. Il finira à Saumur, décrit comme un « bon officier, montant très bien à cheval, mais indolent ». Le comble de l’échec survient lorsqu’il chute de cheval, le tenant écarté des rangs pendant trois longues années…
Dévoiler les vérités cachées
« Sa mort héroïque trouve son origine là, dans cette éclipse de trois ans où il a disparu de sa propre vie », soupçonne Thibault. La statue du héros commence à se fissurer : « Les géants n’existent pas. Mais leur souvenir demeure et nous empoisonne le cœur. »
Le cœur d’un père
Au fil des pages, le lecteur découvre non seulement Louis, mais également Emmanuel, le père de l’auteur, qui incarne une figure de séducteur fêtard. Thibault, l’enfant terrible de la littérature, a su mûrir tout en préservant sa générosité. Dans les derniers moments de la vie de son père, il aborde avec pudeur et émotion leur relation. L’écriture devient alors un acte de devoir, une façon de rester aux côtés d’un père en fin de parcours.
Un livre touchant et profond, où l’auteur se livre sans réserve : « La seule chose qui me reste est l’écriture. Mes notes. Mes recherches. Le récit sur Louis. Comme si mon livre et le cœur de mon père, depuis le début, avaient destin lié, et que, aussi longtemps que les mots couleraient de ma plume, le sang continuerait d’irriguer son muscle. Et vice versa. »
Dans un manuel scolaire de 1920, la citation d’Eugène Carrière rappelle une poignante réalité : « Les fils sont là pour continuer les pères. »