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Des scientifiques du RIKEN Cluster for Pioneering Research (CPR) ont conçu une technologie capable de modifier, au sein du corps, l’identité reconnue des protéines. Cette innovation, publiée dans Nature Communications le 2 octobre, permet aux chercheurs de cibler des tumeurs chez la souris avec une protéine, puis d’éliminer celle-ci du corps. Ainsi, des médicaments anticancéreux pourraient être directement acheminés vers les tumeurs et excrétés après avoir déposé leur charge utile.
Le rôle essentiel des protéines dans le traitement ciblé du cancer
Les protéines présentes dans le sang circulent dans tout le corps, ce qui en fait des transporteurs idéaux pour des traitements ciblés contre des maladies telles que le cancer. Pour éviter d’endommager les tissus non ciblés, il est crucial que les médicaments se lient aux cellules appropriées, nécessitant ainsi un « laissez-passer » moléculaire complexe. L’étude, dirigée par Katsunori Tanaka à RIKEN CPR, se concentre sur la modification des marqueurs d’identification présents à la surface de l’albumine, la protéine la plus abondante dans le sang, afin de changer les tissus auxquels elle peut se fixer dans le corps de la souris.
Études précédentes et découverte des marqueurs d’identification
Dans une étude antérieure, l’équipe de Tanaka avait examiné les capacités de ciblage des tumeurs de différents molécules de marquage d’identification, appelées glycans, qu’ils avaient attachées à l’albumine. Ils ont constaté que le motif d’identification ‘A’ pouvait se lier à des cellules de cancer colorectal humain et être transporté vers la vessie pour être excrété dans l’urine. En revanche, le motif ‘B’ entraînait la capture de l’albumine par le foie, qui était ensuite envoyée vers les intestins pour y être excrétée.
Innovation clé : modification de l’identité de l’albumine
L’innovation majeure de cette nouvelle étude consistait à changer le « laissez-passer » moléculaire de l’albumine après qu’elle ait atteint sa destination dans le corps. Pour y parvenir, les chercheurs ont utilisé une méthode chimique de libération par clic. Ils ont d’abord créé de l’albumine-1 en y attachant le motif d’identification ‘A’. Ensuite, ils ont élaboré un transporteur changeant et son partenaire. Le transporteur portait le motif ‘B’, tandis que le partenaire était attaché à l’albumine-1. Lorsqu’ils ont mélangé l’albumine-1 avec le transporteur dans une éprouvette, une réaction de clic s’est produite, permettant l’activation des identifiants ‘B’ et la libération de nombreux identifiants ‘A’. Le nouvel albumine obtenu a été désigné comme albumine-2, un mélange des motifs d’identification ‘A’ et ‘B’.
Démonstration de l’efficacité dans les modèles animaux
Dans un premier test de faisabilité dans le corps de la souris, ils ont marqué l’albumine-1 avec une protéine fluorescente avant de l’injecter dans la circulation sanguine de la souris, avec ou sans le transporteur. Comme prévu, lors de l’injection de l’albumine-1 avec le transporteur, les chercheurs ont observé une fluorescence dans les intestins, similaire à celle observée après l’injection de l’albumine-2. Sans le transporteur, la fluorescence n’était visible que dans le sang, la vessie et l’urine.
Ayant prouvé qu’ils pouvaient effectivement modifier l’identité de surface de l’albumine à l’intérieur du corps, l’équipe a ensuite vérifié s’ils pouvaient envoyer l’albumine-1 dans une tumeur et la retirer via les intestins, imitant ainsi la livraison et l’élimination de médicaments. Ils ont injecté l’albumine-1 dans des tumeurs coliques de souris, avec ou sans le transporteur, après un court délai de 10 minutes. Dans les deux cas, l’albumine s’est fixée aux cellules tumorales. Après l’injection du transporteur, l’albumine a changé d’identité et une grande partie d’elle a migré des tumeurs vers les intestins en cinq heures. En l’absence du transporteur, l’albumine-1 n’a jamais atteint les intestins.
Une technologie prometteuse pour les traitements médicaux
Les réactions biocompatibles mises en œuvre par cette nouvelle technologie la rendent particulièrement attrayante. Ce procédé pourrait révolutionner le traitement de nombreuses conditions. Katsunori Tanaka déclare : « Notre stratégie pourrait être utilisée comme un système de livraison de médicaments pour favoriser l’excrétion d’un médicament ou d’un radionucléide médical d’une tumeur après traitement, évitant ainsi une exposition prolongée pouvant mener à des effets indésirables. Alternativement, une seule molécule ‘patrouilleuse’ pourrait être utilisée pour traiter simultanément plusieurs maladies, à l’instar de la technologie présentée dans le film Fantastic Voyage. »
Cette avancée ouvre de nouvelles perspectives passionnantes pour le traitement du cancer et d’autres pathologies, offrant une méthode plus efficace et ciblée pour l’administration de médicaments.