La voie Ghazouani en Mauritanie, entre héritage spirituel et renouveau politique
Comme d’autres pays du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest, la Mauritanie est un centre d’attraction pour les confréries soufies, qui ont pénétré la région de Chinguetti vers la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle.
En raison d’une certaine convergence entre les principes des confréries soufies et la nature nomade de la société mauritanienne, inclinée vers l’austérité et l’ascétisme, les mouvements soufis ont trouvé en Mauritanie un terrain propice à s’implanter et à se développer au cœur du système social.
Parmi les diverses confréries soufies, la Tariqa Ghazouani, qui s’est diffusée dans le nord et le sud-est de la Mauritanie au XIXe siècle, est remarquable.
Après un déclin et une réduction de son rôle à la fin du XXe siècle, cette voie connaît aujourd’hui un retour en force depuis que le Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a pris les rênes du pouvoir en 2019. Sa famille est en effet comptée parmi les éminents cheikhs de cette confrérie qui en ont porté le drapeau pendant des décennies et en ont assuré la succession.
La Ghazouani se distingue par des pratiques d’ascèse, de piété et de retraite du monde matériel (Presse mauritanienne)
Origine et expansion
La Ghazouani est une branche de la Tariqa soufie Shadhiliya, qui tire son origine de Taqi al-Din Abi al-Hasan Ali ibn Abd Allah ibn Abd al-Jabbar al-Shadhili. Cette pratique soufie a été introduite en Mauritanie assez tôt après sa propagation au Maroc.
Le doyen de la Faculté des Fondements de la Religion de l’Université des Sciences Islamiques de Laayoune, Dr. Mokhtar Mohamed Fadel, surnommé Dah Ould Hamid, raconte que l’arrivée de la Shadhiliya en Mauritanie a coïncidé avec Mohamed Ben Sidi Yahya Al-Qalaqmi, qui l’a reçue d’Abu al-Abbas Ahmad Ben Ahmad, connu sous le nom de “Zarruq”.
La Shadhiliya, initialement confrérie d’élite se répandant parmi les érudits et les grands de la société, ne cherchait pas activement à recruter des adeptes.
Dah Ould Hamid ajoute dans son entretien avec Al Jazeera Net que la Shadhiliya a reculé après la propagation de la Tariqa Qadiriya, mais c’est avec le Cheikh Mohamed El Aghzaf ben Hamaballah ben Salem Al-Dawoodi, décédé en 1803, qu’elle a prospéré jusqu’à prendre le nom de Tariqa Ghazouani, en référence à ce même cheikh. Elle a émergé du contexte de la société mauritanienne et s’est alignée sur ses particularismes.
La Tariqa Ghazouani s’est répandue en Mauritanie au XIXe siècle et au début du XXe siècle, et s’est largement diffusée à travers la région de Hodh dans l’est mauritanien, atteignant jusqu’aux régions d’Adrar au nord.
En outre, au cours d’un pèlerinage à la Mecque via la Libye, Sheikh Mukhtar bin Talib Amir bin Nuh Al-Basadi a transmis cette voie à des hommes de science et de jihad en Libye.
La Tariqa a continué son expansion en Turquie avec Sheikh Mohamed Al Amin Ould Zeini Al-Qalaqmi Al-Shinquiti, qui a émigré de Mauritanie après la Première Guerre mondiale et s’est établi dans l’est de la Turquie, rejoignant les dirigeants de l’Empire ottoman.
La Tariqa Shadhiliya Ghazouani (Presse mauritanienne)
Caractéristiques de la Ghazouani
La Ghazouani, en tant que branche de la Shadhiliya, prône la voie de l’ascétisme, la piété, le retrait du monde, l’éducation de l’âme à se distancer des désirs et plaisirs charnels, l’attachement aux actes de dévotion et aux œuvres charitables.
Le doyen de la Faculté des Fondements de la Religion de l’Université des Sciences Islamiques, le Dr. Dah Ould Hamid, explique à Al Jazeera Net que « la Ghazouani s’est distinguée par l’ascétisme, le port de vêtements rapiécés, le désintérêt pour les parures de la vie mondaine, la lutte contre l’ego, la patience dans l’adversité, l’austérité, l’abondance de prières et sermons, et l’élévation de la bannière du jihad contre la force coloniale ».
Les adeptes de cette voie en Mauritanie ont été parmi ceux qui ont défié le colonisateur français et ont participé à des batailles de jihad contre lui, organisant également des migrations collectives hors de Chinguetti après l’occupation française de leurs régions.
Sur la base des objectifs et principes de ce mouvement, ses caractéristiques peuvent se résumer à l’austérité, la discrétion en matière d’apparat, le dévouement en amour pour le cheikh – l’adepte est obligé de suivre tous les enseignements de son cheikh –, le renouveau de l’esprit du jihad, le sacrifice pour la défense de la religion, et l’attachement aux litanies et souvenirs prescrits par le cheikh.
Personnalités emblématiques
La Ghazouani a compté de nombreuses figures mauritaniennes de renom, à commencer par le fondateur, Sheikh Mohamed El Aghzaf Al-Dawoodi (décédé en 1803), Sheikh Mohamed Al Amin bin Zein Al-Qalaqmi, et Sheikh El Ghazouani (décédé en 1966).
Parmi les figures contemporaines les plus emblématiques, on compte le Président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, à qui pourrait échoir la succession de la confrérie, puisque sa famille a présidé la Tariqa à plusieurs reprises.
La confrérie compte un grand nombre d’adeptes et de disciples, parmi lesquels figure le Sheikh Abdullah Ould Bayyah, dont le père était également un de ses fidèles.
Ce livre a suscité un tollé dans l’élite intellectuelle de la Mauritanie (Al Jazeera)
La controverse qui l’entoure
Depuis ses premières manifestations en terre Chinguetti, la Tariqa a fait l’objet d’une large réprobation de la part de plusieurs érudits, tels que Sheikh Mohamed Yahya Al-Walati et Sheikh Mohamed Al Amin Ould Ahmad Zaidan Al-Jakni, décédé en 1916, et d’autres savants qui ont ouvertement exprimé leur désaccord.
Cela a conduit Ali bin Mohamed Mahmoud Lemheyimed, alors émir dans l’est mauritanien, à tenir un conseil afin de juger ses cheikhs, permettant plus tard à ces derniers de pratiquer leurs rites et de propager leur doctrine.
Après l’élection du Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani en 2019, des chercheurs ont entrepris de revaloriser l’histoire de la Tariqa et sa place, jusqu’alors méconnue de beaucoup parmi le peuple mauritanien.
En 2021, un groupe de chercheurs a publié un ouvrage intitulé « La Tariqa Shadhiliya Ghazouani… Guidance, Soutien et Jihad », préfacé par Sheikh Abdullah Ould Bayyah, ancien ministre dans le gouvernement de Mokhtar Ould Daddah.
Cet ouvrage a provoqué une onde de choc parmi l’élite intellectuelle de la Mauritanie, certains le considérant comme une flatterie envers le Président en exercice, et une tentative d’utiliser son pouvoir pour répandre la confrérie dont ses ancêtres ont longtemps été les chefs.
En réponse à la résurgence de la Tariqa et aux tentatives de s’y affilier, le leader islamiste Mohamed Ghoulam Al-Hajj Sheikh a écrit : « Si le Président de la République reste silencieux face à ces initiatives, l’appartenance à la Tariqa sera semblable à celle du parti au pouvoir, dont se retirent les politiciens dès que le Président quitte le palais. »
Ces dernières années, l’activité de la Tariqa Ghazouani a augmenté, avec de nombreux articles et livres qui lui sont consacrés, en plus des colloques et conférences organisés autour de celle-ci. Le plus récent de ces événements est le colloque scientifique organisé dans la région de Hodh Elgharbi en mars 2022, sous le titre « La Tariqa Shadhiliya Ghazouani… Un modèle de cité idéale », auquel ont assisté des personnalités politiques et scientifiques de diverses régions de Mauritanie.