La médiation de Maulvi Fazl-ur-Rehman entre Kaboul et Islamabad réussira-t-elle ?
KABOUL – Lors de sa première visite à Kaboul depuis le retour au pouvoir des talibans en 2021, le leader de la "Jamiat Ulema-e-Islam Pakistan", Maulvi Fazl-ur-Rehman, a rencontré à Kaboul le Premier ministre par intérim afghan, Mullah Mohammed Hassan Akhund, et son adjoint aux affaires politiques, Maulvi Abdul Kabir.
Cette visite intervient dans un contexte tendu entre les deux parties, les autorités pakistanaises accusant le gouvernement afghan de soutenir les combattants du mouvement taliban pakistanais et de leur fournir un refuge sûr près de la frontière des deux pays, tout en imputant à ce mouvement la responsabilité de la détérioration de la situation sécuritaire.
Ignorant les demandes pakistanaises et refusant d'expulser les combattants de son territoire, Islamabad a réagi en expulsant les réfugiés afghans pour faire pression sur le gouvernement afghan.
Le Maulvi Fazl-ur-Rehman pourra-t-il jouer un rôle dans l'amélioration des troublées relations afghano-pakistanaises qui se sont dégradées depuis l'arrivée des talibans au pouvoir de manière inattendue, étant donné la relation historique entre les deux parties durant la présence des forces américaines et étrangères en Afghanistan ?
Le Premier ministre afghan Mullah Mohammed Hassan Akhund (à droite) et Maulvi Fazl-ur-Rehman dans le palais présidentiel (Bureau de presse gouvernemental)
Une étape constructive
Zardasht Shams, l'ancien vice-ambassadeur afghan à Islamabad, pense que l'homme ne sera pas capable de résoudre le problème en une seule visite. Cependant, il considère qu'il s'agit d'une étape positive pour ouvrir la porte au dialogue entre les deux parties, au moins, et qu'il peut aider à rapprocher les points de vue sur les questions controversées entre Kaboul et Islamabad, et à poser les bases du dialogue. "Les talibans ont beaucoup changé et ne sont pas ceux des années 90", dit-il.
Selon des experts des affaires afghanes, la question du mouvement taliban pakistanais était l'un des points essentiels de la visite du leader de la "Jamiat Ulema-e-Islam Pakistan" à Kaboul et de sa rencontre avec le côté afghan. Le gouvernement afghan considère que cette question est purement pakistanaise et qu'il ne peut rien promettre au Pakistan à ce sujet.
"C’est la présence des talibans pakistanais qui pose problème dans les relations bilatérales, et même si le gouvernement afghan le souhaitait, il n'est pas en mesure d'agir concrètement contre le mouvement, car il ne veut pas ouvrir un nouveau front contre lui", affirme Zardasht Shams à Al Jazeera Net.
Des sources afghanes proches révèlent que cette visite poursuit trois objectifs principaux : persuader le mouvement taliban pakistanais de s'asseoir à la table des négociations avec le gouvernement pakistanais, aider le gouvernement afghan à sécuriser les zones frontalières lors des élections parlementaires qui se tiendront le mois prochain et diminuer la tension entre Kaboul et Islamabad.
Le parti "Jamiat Ulema-e-Islam Pakistan" est considéré comme l'un des partis islamiques les plus importants alliés au gouvernement et à l'armée pakistanais, et a une grande influence dans les régions frontalières avec l'Afghanistan. Il a réussi à maintenir une présence dans la politique pakistanaise en remportant des sièges au parlement et au sénat pakistanais.
Persuader le mouvement taliban pakistanais à négocier avec le gouvernement pakistanais est l'un des objectifs de la visite de Fazl-ur-Rehman à Kaboul (Bureau de presse gouvernemental)
Messages
Maulvi Fazl-ur-Rehman, qui a soutenu le mouvement taliban afghan pendant deux décennies, est venu à Kaboul en coordination avec le gouvernement pakistanais pour transmettre ses messages au côté afghan.
À ce propos, le ministre des Affaires étrangères afghan par intérim, Amir Khan Muttaqi, a déclaré à Al Jazeera Net : "Maulana Fazl-ur-Rehman est respecté de tous dans la région, il est bien informé de la situation en Afghanistan et au Pakistan, et nous espérons qu'il jouera un rôle dans l'amélioration des relations entre les deux pays, et dans la transmission de bonnes intentions des leaders afghans aux responsables pakistanais, en espérant que cette visite produira de bons résultats".
Les observateurs estiment que les visites officielles des responsables pakistanais en Afghanistan n'ont pas abouti à des résultats tangibles, c'est pourquoi les autorités pakistanaises ont envisagé de changer le mécanisme de communication avec le gouvernement afghan actuel, dirigé par les talibans, et ont décidé d'envoyer une personne – au moins – capable de comprendre la pensée des leaders talibans, car ils appartiennent à la même école idéologique.
"Inviter le leader de la 'Jamiat Ulema-e-Islam Pakistan' vise à prévenir la propagande négative contre les talibans au Pakistan et à transmettre la vérité au peuple pakistanais", dit le porte-parole du gouvernement afghan, Zabihullah Mujahid, à Al Jazeera Net.
L'adjoint du Premier ministre afghan pour les affaires politiques, Maulvi Abdul Kabir, a exprimé lors de sa rencontre avec Maulvi Fazl-ur-Rehman l'inquiétude de son pays face à la présence de l'État islamique et à la politique d'Islamabad envers les réfugiés afghans au Pakistan.
Appréciation
Le chef du département des médias du bureau du vice-Premier ministre pour les affaires politiques, Hasan Haqyar, a indiqué à Al Jazeera Net : "Le gouvernement afghan apprécie le rôle joué par Maulvi Fazl-ur-Rehman dans l'amélioration des relations bilatérales. Nous lui avons expliqué que nous sommes engagés par l'accord de Doha et que nous ne permettrons à personne d'utiliser le sol afghan contre nos voisins. Le Pakistan doit nous accepter comme un État indépendant, arrêter de s'immiscer dans nos affaires et nous ne souhaitons pas nous mêler des affaires des autres".
La visite du leader de la "Jamiat Ulema-e-Islam Pakistan" a suscité de larges réactions sur les réseaux sociaux.
De nombreux militants ont vu dans cette visite une tentative de campagne électorale, et tant que le leader des talibans, le cheikh Hebatullah Akhundzada, – qui détient un large pouvoir de décision sur des questions essentielles telles que la position du gouvernement afghan vis-à-vis du mouvement taliban pakistanais – n'a pas été rencontré, alors les autorités actuelles à Kaboul ne disposent pas de l'autorité nécessaire pour prendre des décisions majeures.
Selon l'écrivain et chercheur politique Fazl-ur-Rehman Orya, "après la visite de Maulvi Fazl-ur-Rehman, les choses pourraient prendre une nouvelle direction, la crise sécuritaire et économique au Pakistan pourrait s’aggraver, et le mouvement taliban pakistanais pourrait intensifier ses actions et créer un nouvel élan contre les forces pakistanaises", a-t-il déclaré à Al Jazeera Net.