Implications de la menace de fermeture de cartes en Turquie
Dans une mesure préventive qui reflète une vigilance croissante envers la stabilité financière et une adaptation aux politiques économiques strictes menées par la Turquie pour lutter contre l’inflation et la dépréciation de la livre, les banques turques ont émis, au début de février, des avertissements sévères à leurs clients concernant l’utilisation des cartes de crédit dans certaines transactions spécifiques, telles que l’achat d’or, de devises étrangères et d’actifs cryptés, en particulier ceux dépourvus de justifications « raisonnables ».
Ces avertissements émis par les banques turques s’inscrivent dans le cadre de mesures visant à contenir la hausse du taux d’inflation, qui a atteint 65% en rythme annuel selon les chiffres de l’Institut turc de statistiques, et à renforcer la discipline financière, annonçant la possibilité de fermer les cartes de crédit des opérateurs en infraction avec ces politiques.
Ces mises en garde émanent du secteur bancaire témoignent de la volonté de surveiller les dépenses par cartes de crédit, et reflètent une politique stricte à l’encontre de l’utilisation de ces instruments financiers dans les transactions d’investissement, soulignant le rôle fondamental des cartes de crédit en tant qu’outil pour répondre aux besoins quotidiens des consommateurs.
Chiffres inquiétants
Dans ce contexte, l’Autorité de régulation et de surveillance bancaire a mis en lumière l’augmentation significative de l’utilisation des cartes de crédit individuelles, atteignant 1,172 milliard de livres turques au cours du premier mois de l’année en cours 2024, en hausse de 155% par rapport à la même période de l’année précédente 2023, où elles s’élevaient à 459 milliards de livres.
La taille de l’utilisation des cartes de crédit individuelles en Turquie a atteint 1,172 milliard de livres turques en février 2024 (Al Jazeera)
L’organe avait annoncé en août 2023 qu’il suspendait la possibilité de régler les paiements par carte de crédit en plusieurs versements pour des voyages à l’étranger, tels que les vols, les frais d’agences de voyage et l’hébergement, dans le but de réduire la fuite de devises étrangères du pays, après que les dépenses des Turcs à l’étranger au cours du premier semestre de l’année précédente 2023 ont atteint 3,17 milliards de dollars, en hausse de 84% par rapport à la même période de l’année 2022.
Selon les statistiques de l’Association turque des banques, la Turquie a connu une augmentation notable du nombre de personnes utilisant des cartes de crédit personnelles au cours de l’année 2023, le nombre ayant augmenté de 1,8 million pour atteindre un total de 39,3 millions de personnes.
La moyenne mensuelle d’utilisation des cartes de crédit personnelles en Turquie s’élève à environ 63 700 livres turques, soit près de 2080 dollars. Il convient de noter que le nombre de personnes contre lesquelles des procédures judiciaires ont été engagées en raison de dettes liées à des cartes de crédit personnelles a atteint 1,1 million de personnes au cours de la même année.
Il semble donc y avoir de grands défis pour les personnes n’ayant pas remboursé leurs dettes de cartes de crédit, leur nombre atteignant 3,836,053 personnes jusqu’à la fin d’octobre 2023. De plus, 2,1 million de personnes sont toujours endettées pour des dettes liées à des cartes de crédit vendues à des sociétés de gestion d’actifs.
Solutions proposées
Dans ce contexte, les experts économiques estiment qu’il existe des domaines clés qui peuvent être ajustés pour limiter l’utilisation excessive de cet outil financier, tels que: modifier les taux d’intérêt, imposer des restrictions sur les options de paiement échelonné, et ajuster les limites de crédit disponibles pour les consommateurs.
Des rapports de médias turcs ont mentionné des discussions en cours sur la réduction du nombre de versements disponibles pour les achats avec des cartes de crédit, avec la possibilité de supprimer complètement cette option dans certains secteurs pour encourager la consommation responsable et éviter l’accumulation de dettes.
De plus, une option visant à réduire les limites de crédit des utilisateurs et à augmenter le paiement mensuel minimum a été évoquée, dans le but de renforcer la stabilité financière des individus et de réduire les risques liés à l’endettement excessif.
En ce qui concerne les taux d’intérêt des cartes de crédit, la Banque centrale turque a précisé qu’elle n’apporterait actuellement aucun changement aux limites maximales des taux d’intérêt et des commissions, ces taux étant déterminés en fonction de critères spécifiques, notamment le taux d’intérêt des dépôts et la politique monétaire, ce qui confirme l’engagement de la banque à équilibrer entre stimuler l’épargne et éviter la surconsommation.
Selon le rapport de stabilité financière du deuxième semestre de 2023 publié par la Banque centrale, une augmentation de l’utilisation des cartes de crédit a été observée après la hausse des taux d’intérêt sur les prêts à la consommation, incitant les citoyens à recourir aux cartes de crédit comme moyen de financement.
Principales répercussions
De son côté, le chercheur économique Abdel Halim El Abadla estime que les avertissements des banques turques à leurs clients interviennent en lumière des statistiques officielles indiquant une augmentation tangible du nombre d’utilisateurs de cartes de crédit personnelles, ainsi qu’une augmentation de l’utilisation mensuelle moyenne à des niveaux dépassant le salaire minimum.
Il considère qu’il s’agit d’une mesure appropriée dans le cadre de l’adaptation aux politiques économiques strictes actuellement appliquées en Turquie, qui contribuera à réduire la demande excessive des consommateurs, ce qui devrait entraîner une baisse du taux d’inflation. Cependant, la situation normale des pays ne permet pas de telles mises en garde aux clients entretenant une relation commerciale avec les banques, régie par des lois officielles.
El Abadla a souligné que la dégradation du taux de change de la livre et la hausse du taux d’inflation obligent les citoyens à chercher d’autres moyens de continuer à acheter leurs besoins fondamentaux et secondaires de manière continue. Il a ajouté que la culture d’achat de la population turque a progressivement évolué vers une dépendance croissante à l’utilisation des cartes de crédit.
Il a également souligné la hausse du nombre de personnes commerçant en cryptomonnaies en Turquie ces dernières années, considérant que cela ne crée pas une économie réelle et crée de grandes fractures entre les citoyens et les tentatives de développement économique en place.
Il est également probable que les banques mettront en œuvre leurs avertissements à l’encontre des clients les plus influents, tandis qu’elles fermeront les yeux sur les clients à fort pouvoir d’achat ou ceux respectant leurs engagements de remboursement, à moins qu’il n’y ait une obligation officielle de la part de la banque centrale de fermer les cartes de crédit pour tous les clients.