"Après l'assassinat d'Al-Arouri, quelles réponses du Hezbollah à Israël ?"
BEYROUTH – L'assassinat de Saleh Al-Arouri, vice-président du bureau politique du mouvement de résistance islamique (Hamas), aux côtés de deux leaders des brigades Izz al-Din al-Qassam et de quatre membres du mouvement, a provoqué un choc profond tant au Liban qu'en Palestine. Une opération où Israël a franchi les lignes rouges précédemment établies par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
Le Hezbollah a affirmé que cet assassinat, que l'Israël avait menacé de réaliser, ne resterait pas impuni. Cette menace a pris forme lorsque le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a directement menacé Al-Arouri d'assassinat en août 2023, l'accusant de diriger les attaques du Hamas en Cisjordanie, et le désignant comme "tête de serpent" par le journal Yediot Ahronot.
La banlieue sud de Beyrouth, fief central du Hezbollah et résidence d'environ un million de personnes, avec une présence marquée du parti à côté de son quartier général, de ses bureaux, et de ceux de ses députés et dirigeants, est également le lieu où le groupe organise diverses activités. Ce qui signifie que la cible de l'opération israélienne était double : assassinat des principaux dirigeants palestiniens du Hamas d'une part et attaque visant à menacer et violer le bastion politique, populaire et sécuritaire du Hezbollah d'autre part.
Face à l'acte commis par Israël, que Hassan Nasrallah avait personnellement mis en garde, comment le Hezbollah répondra-t-il à l'opération ?
Contexte
Hier soir, la banlieue sud de Beyrouth a été secouée par une forte explosion attribuée à un raid aérien israélien visant un bureau de Hamas où Al-Arouri et ses compagnons étaient présents, entrainant leur martyre et blessant d'autres.
L'assassinat d'Al-Arouri, l'un des fondateurs éminents des brigades Izz al-Din al-Qassam, a eu lieu juste avant le discours attendu de Nasrallah, et Channel 13 affirme qu'il devait le rencontrer le lendemain, sachant qu'ils partageaient une relation forte, illustrée par de nombreuses photos. Cet assassinat survient également après que des sources israéliennes aient annoncé que les forces se retirant de Gaza se préparaient à un possible second front au Liban.
Bien que ce soit l'acte le plus violent à survenir dans la banlieue sud depuis la guerre de juillet 2006, il rappelle également une opération particulière menée par deux drones israéliens en août 2019, frappant près d'un bureau des relations médias du Hezbollah, causant uniquement des dommages matériels.
Netanyahu a demandé à ses ministres de ne pas commenter sur l'assassinat d'Al-Arouri, et des responsables suggèrent que l'opération visait spécifiquement Al-Arouri et non le Hezbollah ou le gouvernement libanais.
Des condamnations de l'assassinat d'Al-Arouri affluent au Liban, en Palestine et dans le monde arabe, notamment celle du président du gouvernement de gestion des affaires courantes Najib Mikati, qui parle d'un "nouveau crime israélien avec pour objectif de plonger le Liban dans une nouvelle phase de confrontations après les agressions quotidiennes continues au sud".
Le ministre libanais des Affaires étrangères, Abdullah Bou Habib, a quant à lui ordonné deux vives protestations auprès des Nations Unies contre l'agression israélienne sur la banlieue et les tentatives d'entraîner le Liban dans une escalade globale.
Sous la bannière "Vengeance, vengeance".. Des Palestiniens manifestent à Ramallah après l'annonce par le Hamas du martyre du dirigeant #Saleh_Al-Arouri par un drone dans la banlieue sud de Beyrouth #Guerre_de_Gaza
— Al Jazeera Channel (@AJArabic) 2 janvier 2024
Scénarios de riposte
Dans un communiqué détaillé où il rendait hommage à Al-Arouri, le Hezbollah a mentionné que son assassinat et celui de ses compagnons dans le cœur de la banlieue "représentent une attaque grave contre le Liban, son peuple, sa sécurité, sa souveraineté et sa résistance, ainsi que par les messages politiques et sécuritaires symboliques et significatifs qu'elle envoie, et marque un développement dangereux dans le cours de la guerre entre l'ennemi et l'axe de la résistance. Le Hezbollah confirme que ce crime ne restera jamais sans réponse ou châtiment".
Beaucoup pensent que le parti est désormais face à un défi, puisque Nasrallah a menacé à plusieurs reprises que tout assassinat d'un dirigeant de la résistance libanaise ou palestinienne au Liban serait suivi d'une réponse claire en territoire israélien.
Escalade dangereuse
Selon l'écrivain et analyste politique Ibrahim Berm pour Al Jazeera Net, l'assassinat d'Al-Arouri était prévisible puisqu'il faisait partie des trois cerveaux directeurs des brigades al-Qassam avec Yahya Sinouar et Mohammed Deif et avait reçu plusieurs menaces. Toutefois, l'analyste politique Tawfiq Shoman pense que son assassinat constitue une dangereuse escalade inattendue de la part d'Israël car cela signifiait franchir des lignes rouges enfreignant des avertissements de Nasrallah.
Shoman suggère, dans ses propos à Al Jazeera Net, que l'opération ne se terminera pas sans une riposte significative, car elle met les avertissements de Nasrallah à l'épreuve, et "toute réponse limitée signifierait l'audace renouvelée d'Israël pour des opérations similaires au Liban".
Berm estime, quant à lui, que le sud du Liban est le théâtre d'une véritable guerre, et développer cette guerre au cœur du Liban n'est pas une décision facile, ce qui a conduit Israël à promouvoir le fait qu'elle a ciblé une cible palestinienne plutôt que libanaise. Il ne pas exclut que le Hezbollah intègre cet acte dans une politique visant à ne pas permettre à Israël de l'entraîner là où elle le souhaite, tout en infligeant un coup dur à Israël pour sa menace directe à son appareil politique et sécuritaire au cœur de son bastion populaire.
Berm évoque aussi que l'incapabilité d'Israël d'ouvrir un large front avec le Liban sans soutien militaire direct des États-Unis est reflété par le récent retrait de la flotte américaine, signe d'un désir de Washington de contenir les tensions dans la région, et un reflet des disputes émergentes avec Israël sur la gestion de la guerre, ce qui place cette dernière dans une situation embarrassante.
Pourtant, Shoman pense que les défaites d'Israël pourraient la pousser à prendre des risques avec le Liban. Il note que "Nasrallah pourrait modifier les points de sa prochaine déclaration pour annoncer une position ferme, car l'assassinat d'Al-Arouri par sa forme, son contenu et sa localisation ne peut être traité que comme une escalade sérieuse et exceptionnelle".
Berm suggère que l'assassinat d'Al-Arouri vise à donner à Israël une image de victoire impossible à Gaza et pourrait être le prélude à son départ d'une guerre pour laquelle elle n'est pas prête à élargir son envergure "à moins qu'elle ne choisit l'option suicidaire d'enflammer une guerre à grande échelle avec le Liban, ce qui n'est souhaité par aucune des parties internationales ou régionales, alliées ou adversaires".