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Championne de judo de renommée mondiale, Clarisse Agbégnénou est une figure emblématique du sport français. Son palmarès est impressionnant : championne du monde à 21 ans dans la catégorie des moins de 63 kg, double médaillée d’or aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021, six fois championne du monde et cinq fois championne d’Europe. En vue des prochains Jeux Olympiques de Paris, Clarisse Agbégnénou a même été choisie pour relayer la Flamme olympique au sommet de la tour Eiffel le 15 juillet dernier. Mais au-delà de ses exploits sportifs, Clarisse met un point d’honneur à souligner l’importance du bien-être mental pour les athlètes.
« Ces Jeux, vous l’avez annoncé, vous y allez pour les gagner et accrocher l’or au cou de votre fille Athéna. Comment les préparez-vous ? »
Clarisse Agbégnénou : « Avec beaucoup d’entraînements, de préparation physique et des stages pour mettre un coup de collier. Dans la dernière phase, j’ai fait quelques compétitions, pas beaucoup, pour voir où j’en étais. Il y a eu des moments plus compliqués que d’autres, quand les résultats n’étaient pas ceux que j’aurais aimé faire, comme aux championnats d’Europe en novembre dernier à Montpellier.
Je ne me sentais pas physiquement présente. Mentalement oui, mais physiquement non. C’était un bon état des lieux pour me recentrer sur mes objectifs et épurer un peu autour de moi. Certains combats m’ont fait réaliser qu’il me fallait beaucoup plus d’énergie, c’était bien de s’en apercevoir. »
« Prématurée, réanimée à la naissance puis opérée d’une malformation d’un rein, vous tombez, bébé, dans le coma. Les médecins n’y croient plus quand vous revenez à la vie. Vous avez, dites-vous, un super pouvoir. Calme et conquérante, comment entretenez-vous cette force intérieure ? »
Clarisse Agbégnénou : « C’est la pratique. Il faut travailler. Cela enlève des craintes et on acquiert de l’assurance. J’ai pris confiance en gagnant des médailles, donc c’est un bagage que j’ai acquis au fil du temps. Je l’ai aussi travaillée en faisant beaucoup de yoga et de méditation. Je suis aussi plus relâchée, j’ai un peu moins de stress en me disant que j’ai tout eu et que ma fille est en bonne santé. Ce qui m’arrive n’est que du plus, je suis heureuse, j’en profite avec joie et dans la bonne humeur. C’est bien d’avoir cette motivation-là. Cela permet de respirer. »
« Quel est votre rapport à la santé aujourd’hui ? »
Clarisse Agbégnénou : « De la naissance à mes 13 ans, j’ai été souvent malade. Depuis, c’est rare. Je pense que j’ai construit toute mon immunité, que j’ai tout donné petite, et j’en suis fière.
Même avec mes entraînements intensifs, même avec des blessures, j’arrive à m’en sortir, à prendre peu de médicaments. Je laisse mon corps au maximum se réparer par lui-même. J’ai confiance en lui, je sais l’écouter et je le sens fort. Il récupère assez bien. »
« Comment vous soignez-vous quand vous êtes malade ? »
Clarisse Agbégnénou : « Je fais le plus simple possible. J’essaie de bien manger, de me reposer et j’aime me soigner au naturel. J’utilise des huiles essentielles. Quand j’ai un petit rhume, je prends tout de suite un peu de ravintsara, de la menthe poivrée en cas de mal de tête ou du citron avec du gingembre quand j’ai besoin d’un coup de boost. Mon corps me le demande, c’est notre petite routine. »
« Le judo est un sport de combat. Comment supportez-vous la douleur ? »
Clarisse Agbégnénou : « Déjà, quand on est une jeune fille, on a des douleurs au ventre et à la poitrine que les hommes ne peuvent pas comprendre. Je pense que cela nous fortifie. Avec la grossesse, l’accouchement, j’ai dû revenir à mon meilleur niveau après neuf mois sans vraiment faire de judo et en pratiquant un peu moins de sport. Cela a été très compliqué, il faut l’avouer. On ne se rend pas compte que c’est aussi dur, mais on a une force mentale et on est conditionné pour ça. Les douleurs, les courbatures, on fait avec, on a l’habitude. »
« Sur le plan nutritionnel, vous êtes accompagnée depuis longtemps par une nutritionniste. Pouvez-vous nous en dire plus ? »
Clarisse Agbégnénou : « Oui, et avec l’allaitement, j’ai encore plus mis l’accent sur ce que je mange, des produits sains et de saison, afin d’avoir assez de nutriments pour que mon alimentation puisse nourrir ma fille en plus de me nourrir moi. »
« Allaiter votre fille, c’est important. Vous avez défendu ce droit au sein des fédérations de judo et du Comité national olympique français. »
Clarisse Agbégnénou : « C’est très important. C’est mon moment privilégié avec ma fille. Je ne sais pas quand on va arrêter. Pour l’instant, tout se passe bien. Au niveau physique, on a pu le gérer et on continue d’y travailler pour que je puisse m’entraîner à fond et nourrir ma fille. »
« Avez-vous ressenti des pressions liées à ces choix ? »
Clarisse Agbégnénou : « Cela dépend des moments. Il y en a des plus cool, où on l’oublie un peu parce que maintenant que ma fille a grandi, elle n’est plus là durant les entraînements. Sur des moments de stage, on me voit un peu plus allaiter, et sur les temps de compétition, encore un peu plus. Mais je comprends que les entraîneurs puissent s’interroger.
C’est aussi à moi de dresser un état des lieux et d’exprimer mon ressenti. J’y ai beaucoup réfléchi les semaines qui ont suivi ma défaite aux championnats d’Europe et je ne pense pas que mon allaitement en soit la cause. Mon bien-être mental compte davantage que mon bien-être physique. Arrêter d’allaiter pour me sentir mieux physiquement ? Si mentalement, je suis en dépression, eh bien, je ne donnerai plus rien ! Donc je continue mon allaitement qui me fait énormément de bien. »
« Qu’est-ce qui change avec l’âge ? »
Clarisse Agbégnénou : « En premier lieu, la motivation. Et après, la récupération. On récupère moins bien, moins vite, il faut davantage s’écouter et modifier ses entraînements pour que tout s’imbrique correctement. Mes meilleurs moments, c’est peut-être bizarre de dire cela, sont ceux que je passe avec ma fille. Ce sont des moments privilégiés, que je ne pourrai jamais rattraper. Quand je suis avec elle, c’est précieux, j’essaie d’en profiter à fond. »