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La discussion sur la décolonisation de l’espace public, ainsi que sur la décolonisation dans le monde de l’art, de la culture et des musées, est un phénomène relativement récent en Espagne. Les institutions culturelles commencent à être confrontées à des approches et des discours qui interrogent la manière dont le legs colonial et impérial est traité dans leurs espaces. Ce débat suscite des réactions variées, témoignant de différentes intensités, indépendamment des affiliations politiques. Certaines voix au sein du gouvernement semblent préoccupées par cette tâche, tandis que d’autres la rejettent catégoriquement en invoquant la rhétorique de la « légende noire », que l’on pourrait plutôt nommer « légende blanche ».
Les enjeux de la décolonisation
Ce débat, à la mode, qui tente de détourner l’attention de la lutte pour la décolonisation des peuples et des territoires actuellement en situation coloniale ou néocoloniale, tourne souvent autour des notions de réparation ou de restitution. Cela concerne la réparation de ce qui a été volé par le musée, en tant qu’institution coloniale représentant les bourgeoisies occidentales. Le musée n’est pas un simple réceptacle d’objets, mais un dispositif qui solidifie des récits et qui est ancré dans un territoire particulier. Ce territoire est le théâtre de conflits de classe, de race, de genre, et de sexualité, qui constituent la société moderne dans laquelle le musée prend sens.
La persistance de l’idéologie impériale
Il est indéniable que l’exaltation de l’idéologie impériale persiste dans l’espace public, souvent de manière subtile, dépassant largement le cadre du musée. Cette subtilité révèle quelque chose de bien plus sinistre : la déshumanisation de l’autre est devenue une normalité. Une image poignante, souvent ignorée, de Santiago ‘Matamoros’ écrasant et chassant des musulmans avec son cheval, visible à l’entrée d’une des églises centrales de Barcelone, illustre ce propos. Ce n’est pas une exception, mais un exemple qui fonctionne ici comme un indicateur. Au lieu de simplement réagir avec indignation, il est essentiel d’explorer ce que cela révèle de notre imaginaire et du rôle que cela joue comme soutien idéologique au projet impérial, qui continue de causer des génocides, occupations et exploitations.
Symbolique et matérialité
Les vestiges de l’idéologie impériale ont été récupérés et réinterprétés par les agents intellectuels du régime franquiste dans le cadre de leur projet de cristianisme impérial et de colonialisme. Cette continuité dans la gestion de la mémoire en Espagne est importante, car, depuis la Transition espagnole, cette culture de l’oubli programmé a été institutionnalisée sous une rhétorique progressiste. Ainsi, la mémoire de la guerre civile de 36 et du génocide instauré par les mercenaires franquistes a été reléguée au même endroit que la mémoire impériale et coloniale.
Questions de réparation
La question de la réparation est centrale dans ce débat. Qui doit réparer et dans quel cadre ? Cette interrogation est inévitable pour envisager un territoire réellement habitable, au-delà des réalités urbaines. Dans des villes comme Barcelone ou Madrid, la façade cosmopolite masque une réalité de ségrégation. Les périphéries, souvent habitées par des communautés d’origine maghrébine, africaine ou gitane, témoignent d’une mémoire d’oppression qui reste cachée au cœur de la ville, masquée par le prestige impérial.
Le défi de l’inclusion
Les institutions trouvent plus facile de s’exprimer sur la décolonisation dans un passé lointain et abstrait, une manière habile de banaliser un langage essentiel. Dans le cadre d’un modèle multiculturel géré par le grand capital, les termes réparation et restitution se traduisent souvent par intégration et inclusion, étouffant le potentiel révolutionnaire des autres et réduisant leur place à une simple performance.
Vers une transformation réelle
Il est crucial d’examiner ces paradigmes, car ils façonnent les sensibilités politiques tout en générant de nouveaux marchés. La transformation de l’espace public, du musée ou de toute institution culturelle nécessite une action en faveur d’une transformation du régime politique, culturel et économique dont elles font partie. Sans cette démarche, les discours sur la décolonisation peuvent devenir des pièges qui apaisent un désir de justice réelle, en le transformant en aspirations vides.
Pour avancer, nous avons besoin de pratiques culturelles qui permettent de diagnostiquer de manière critique les pathologies de l’État et le rôle de la culture dominante dans leur maintien. Cela peut sembler moins spectaculaire que « décoloniser le musée », mais cela pourrait s’avérer plus sincère et efficace.