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Littérature tunisienne : le cri de l’âme par Shokri Bassoumi
Depuis des années, la littérature tunisienne souffre de ce qu’on appelle « littérature heureuse », qui ne dérange pas le pouvoir et qui ne s’intéresse guère à la réalité présente. Certains écrivains se sont perdus dans le patrimoine, d’autres dans l’historique, tandis que beaucoup se sont consacrés au pur expérimental. Malgré cela, la Tunisie a toujours produit des voix dissidentes, souvent punies par la faim, l’exil, ou même la mort, depuis l’époque de l’écrivain Aboul Kacem Chebbi jusqu’à aujourd’hui.
Cette littérature, qui s’implique avec les masses et leurs croyances, n’a pas été facile à écrire. Chebbi a été frappé par des tomates après que le peuple ait été exaspéré par ses critiques acerbes. Le romancier Kamel Zahgban a également subi la répression après la révolution de 2011, étant expulsé et exilé. Gagner le soutien du peuple par la louange est une chose, mais lui faire faire face à son reflet hideux dans le miroir est une autre histoire.
Le poids des mots : Chebbi et Zahgban
En conséquence, les voix de Chebbi et Zahgban se sont tues, de même que celles de Mohamed Al-Arebi, qui a mis fin à ses jours en exil. Ces écrivains distinguent entre la Tunisie et les Tunisiens, comme l’illustre Chebbi dans son poème « Ô belle Tunisie », tout en critiquant le peuple tunisien dans ses vers, affirmant que :
« Ô peuple, si seulement j’étais un bûcheron / Je frapperais les troncs avec ma hache », où il confronte le peuple à sa réalité et décrit sa vie comme étant une existence dans un tombeau.
Un héritage à redécouvrir
Dans les années 70, en plein cœur de l’avenue Habib Bourguiba à Tunis, se dresse la statue d’Ibn Khaldoun, le fondateur de la sociologie, qui a analysé la personnalité arabe dans son ouvrage « Kitab al-Ibar ». Cet héritage critique n’a cependant pas évolué dans nos pays arabes, et seule une poignée de voix a su s’en servir. La littérature romanesque, décrite par Abdul Rahman Munif comme le « vrai récit historique », semble être celle qui a pris sa place.
Un cri de désespoir : TUNISABLES
Shokri Bassoumi, dans son dernier livre TUNISABLES, publié récemment par la maison d’édition Washma en Tunisie, ne surprend que ceux qui ne le connaissaient pas auparavant. Ancien rédacteur au journal Al-Shorouk, il a toujours utilisé sa plume pour dénoncer le pouvoir avec un style sarcastique. Ses critiques acerbes lui ont valu des enquêtes et des pressions, le poussant à prendre une retraite anticipée afin de libérer sa voix. Son livre précédent, Mémoires de mensonges, était déjà une première approche pour décomposer la mentalité tunisienne.
Depuis le coup d’État du 25 juillet 2021, Bassoumi s’est aligné avec une poignée de penseurs tunisiens pour résister aux nouvelles mesures autoritaires, appelant à un retour à la démocratie. Dans un climat de silence et de répression, son livre actuel aborde la question cruciale : pourquoi la Tunisie a-t-elle retardé tous ses rendez-vous avec le bonheur ?
Une critique de la société tunisienne
Avec plus de 300 pages, Bassoumi s’attache à explorer ce dilemme, illustrant comment le peuple tunisien, lié à l’histoire de Sisyphe, est condamné à voir sa pierre rouler sans cesse. Le livre se déploie dans un langage hybride, évoquant la célèbre œuvre de Victor Hugo, Les Misérables.
Vers une prise de conscience collective
Dans un parcours érudit, Bassoumi relie les références politiques contemporaines aux traditions littéraires. Il évoque les anecdotes et les réflexions de figures variées, des écrivains aux chercheurs, créant ainsi un dialogue intertextuel sur la diversité des voix tunisiennes. Son approche, qui mélange critique sociale et humour, révèle la complexité de l’identité tunisienne et son incapacité à s’unir face aux défis.
Le livre de Bassoumi est un véritable travail d’anthropologie journalistique, qui vise à comprendre l’homme tunisien et la mentalité qui l’anime, questionnant ainsi les raisons des retards dans la quête du bonheur. Il aborde également des thèmes variés allant de la culture à la politique, en passant par les relations familiales et le quotidien des Tunisiens.