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Les enjeux de la réforme des brevets en Europe
Une proposition présentée par Bruxelles pourrait mettre en péril les revenus d’Orange, Nokia et Ericsson issus de l’exploitation de leurs brevets. En revanche, les constructeurs automobiles et Apple soutiennent l’établissement d’un nouveau cadre pour le règlement des litiges liés aux brevets.
Un conflit latent entre opérateurs et géants du numérique
Un bras de fer s’annonce entre d’un côté, les opérateurs et les équipementiers télécommunications européens, qui tirent de substantiels revenus de l’exploitation de leurs brevets sur les technologies 4G et 5G, et de l’autre, les constructeurs automobiles ainsi que des géants du numérique tels qu’Apple. Ces derniers s’acquittent de droits pour intégrer ces brevets dans leurs véhicules connectés ou leurs smartphones.
Le cœur du problème réside dans la future réglementation européenne concernant les brevets standards essentiels (Standard Essential Patents, SEP) qui protègent, entre autres, les technologies sans fil comme la 4G, la 5G, ou encore le Wi-Fi. Cette proposition, actuellement à l’étude au Conseil européen, suscite de vives inquiétudes chez les ayants droit.
Des procédures judiciaires longues et complexes
Les litiges autour des brevets sont souvent longs et difficiles, comme en atteste le contentieux opposant Apple à Qualcomm, qui s’est étalé sur plusieurs années, tout comme celui entre Lenovo et InterDigital, qui se poursuit encore aujourd’hui. Le cadre actuel prévoit un processus via l’Unified Patent Court (UPC), offrant « un règlement rapide et harmonisé des litiges sur les brevets par des juges spécialisés, permettant un paiement rapide des licences aux ayants droit », selon _La Lettre_.
Dans sa proposition, la Commission européenne suggère de remplacer ce système par une procédure plus protractée, passant par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). En cas de litige, cette agence rendrait d’abord un avis non exécutoire, nécessitant ensuite la saisine d’un tribunal.
Une menace pour l’industrie technologique européenne
Les acteurs du secteur des télécommunications redoutent que « la nouvelle procédure complique la résolution des conflits, au détriment de leurs revenus », d’après _La Lettre_. L’organisation de lobbying IP Europe, qui regroupe des entreprises comme Ericsson, Nokia, Orange et Qualcomm sous la direction de Collette Rawnsley, vice-présidente de Nokia, critique sévèrement cette proposition. Selon elle, cela constituerait « un but contre son camp » pour l’Europe.
Parmi les arguments avancés par IP Europe, la proposition désavantagerait les entreprises détenant des brevets européens par rapport à d’autres titulaires de brevets mondiaux et augmenterait les coûts des licences pour les PME, ce qui entraverait leur capacité d’innovation. De plus, cette initiative « saperait le leadership européen dans l’élaboration de normes mondiales, notamment pour la 5G et la 6G ». Il est également noté que l’EUIPO ne possède ni l’expertise ni l’expérience nécessaires pour gérer la complexité des brevets essentiels.
Accès équitable aux technologies sans fil
Les partisans de la réforme n’abandonnent pas. Réunis au sein de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), des entreprises telles que BMW, Volkswagen et Renault ont adressé une lettre à Avanci, leader dans le domaine des pools de brevets, demandant une transparence accrue sur les brevets inclus dans son programme, tout en respectant les principes énoncés dans le projet de règlement de l’UE.
Sans cette transparence, l’industrie automobile « continuera de rencontrer des difficultés pour obtenir des licences d’utilisation des technologies sans fil à des conditions équitables et raisonnables ».
Lobbying à Bruxelles : des intérêts divergents
Afin de soutenir la réforme, Apple utiliserait des canaux indirects, notamment via une organisation appelée The App Association (ACT), financée par les GAFAM, y compris Apple et Amazon. Cette association, qui défend les intérêts des petites et moyennes entreprises technologiques, a manifesté son soutien à la réforme réglementaire, la qualifiant d’indispensable pour faciliter l’accès aux technologies de l’IoT et de l’IA.
Cependant, l’action de lobbying semble avoir un impact limité. Un document de travail récemment diffusé au Conseil révèle que « de nombreux États membres, y compris la France, expriment des préoccupations quant à la montée en puissance de l’EUIPO ». Des pays comme les Pays-Bas, la Finlande et la Suède, où se trouvent des entreprises leaders comme Philips, Nokia et Ericsson, demandent également des ajustements à cette réforme.