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Le scandale des avortements forcés à la Réunion, révélé dans la BD « Outre mères »
Dans les années 1960-1970, l’avortement était prohibé en France. Toutefois, sur l’Île de la Réunion, des milliers d’avortements forcés ainsi que de stérilisations coercitives ont été réalisés à la clinique orthopédique de Saint-Benoît, durant plusieurs années, sans le consentement des femmes concernées. Ce scandale, encore méconnu, a suscité l’attention grâce à un documentaire et une tentative de commission d’enquête à ce sujet.
Un récit poignant sur deux destins croisés
Dans leur bande dessinée intitulée « Outre mères, le scandale des avortements forcés à la Réunion » (Editions Vuibert), publiée ce jeudi, Sophie Adriansen et Anjale mettent en lumière le parcours de deux femmes. Lucie, victime d’un avortement forcé à la Réunion, et Marie-Anne, qui a eu recours à un avortement clandestin, à sa demande, à Paris. Bien qu’elles soient des figures fictives, leur histoire s’ancre dans une réalité tragique. Sophie Adriansen, la scénariste de cette bande dessinée, a partagé ses réflexions avec 20 Minutes.
Un intérêt né d’une lecture révélatrice
Sophie Adriansen explique comment elle a découvert cette affaire : « C’est en lisant *Le ventre des femmes* de Françoise Vergès, publié en 2017 mais que j’ai lu en 2021, que j’ai pris connaissance de ce scandale. Un chapitre entier y est consacré, et cela m’a profondément marquée. Étant impliquée dans les questions féministes depuis longtemps, je ne comprenais pas pourquoi j’avais ignoré cela jusqu’alors. Anjale, originaire de la Réunion, a aussi constaté que beaucoup de ses connaissances n’étaient pas au courant. Cela m’a semblé inacceptable. »
Pour mettre en lumière un paradoxe déconcertant
Les créatrices ont choisi de juxtaposer deux destinées : celle d’une femme à la Réunion, contrainte à l’avortement, et celle d’une autre à Paris, se battant pour accéder à des procédures sûres. « À la même époque, en métropole, des femmes luttent pour avoir des conditions sanitaires correctes lors de leurs avortements. Pendant ce temps, à la Réunion, des femmes sont avortées sans même avoir donné leur accord, illustrant ainsi un contraste choquant », souligne Adriansen.
Un contexte socio-historique inquiétant
Dans la bande dessinée, la politique antinataliste de l’époque à la Réunion est mise en avant, avec des affiches telles que « Un enfant ça va, deux ça va encore, trois : assez ça suffit ! ». Selon Sophie Adriansen, le docteur Ladjad, l’un des médecins mis en cause, justifiait ses actes par la peur que le nombre grandissant d’enfants réunionnais vienne concurrencer les métropolitains sur le marché de l’emploi. Cette mentalité, teintée d’eugénisme, visait à limiter la natalité des femmes issues de milieux défavorisés.
Une recherche d’authenticité à travers le travail
Pour rendre hommage aux victimes et approcher la réalité de cette situation, Adriansen a collaboré avec Jarmila Buzkova, la réalisatrice du documentaire *Les 30 Courageuses de La Réunion : une affaire oubliée*, tout en s’appuyant sur diverses archives de presse. « Bien que recueillir des témoignages des victimes soit très complexe, nous avons voulu refléter avec précision leur quotidien, d’où le choix d’Anjale, qui connaît bien la culture réunionnaise et le créole », précise-t-elle.
Un silence pesant autour du scandale
Le manque de retentissement médiatique autour de cette affaire repose sur des questions de genre, de classe et d’origine raciale. Les femmes plaignantes étaient pour la plupart issues de milieux pauvres et racisés, souvent marginalisées par la société. « Le silence est également dû à son caractère insulaire : les témoignages restent peu entendus. Parmi les milliers de femmes concernées, seules 36 ont osé porter plainte, et beaucoup préfèrent désormais garder le silence sur une expérience pourtant si douloureuse », conclut Sophie Adriansen.