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Ukraine et Afrique : un nouveau front contre la Russie
Dans le cadre de ses efforts pour renforcer sa présence croissante en Afrique et atténuer les effets de la rupture des relations avec certains pays africains, le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kouleba, a effectué une nouvelle tournée sur le continent noir. Cette visite a concerné des pays tels que le Malawi, la Zambie et l’île Maurice.
Ce déplacement, le quatrième de Kouleba en Afrique depuis le début de la guerre avec la Russie, coïncide avec la décision du Mali et du Niger de rompre leurs relations diplomatiques avec l’Ukraine, accusée de soutenir des rebelles contre les forces de ces pays et les mercenaires de Wagner qui y opèrent.
Une compétition pour l’influence
Au cours des deux dernières années de conflit, Kouleba a visité douze pays africains, tandis que son homologue russe, Sergueï Lavrov, a sillonné quatorze pays, illustrant ainsi une compétition féroce entre Kiev et Moscou pour étendre leur influence et défendre leurs intérêts sur le continent, selon des observateurs.
Après l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991, Moscou avait hérité de la majorité des institutions diplomatiques en Afrique, tandis que Kiev avait accepté cette situation sans réelle contestation. Pendant 30 ans, avant la guerre, l’Ukraine n’avait d’ambassades que dans dix des 54 pays africains.
Cependant, la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a rappelé à Kiev l’importance de ce continent. En deux ans de conflit, l’Ukraine a fait des progrès significatifs en élargissant son réseau diplomatique, ouvrant dix nouvelles ambassades en Afrique, ce que Moscou considère comme une « seconde front » contre elle.
L’importance de l’Afrique
Les pays dans lesquels l’Ukraine a ouvert ses nouvelles ambassades ont reçu des centaines de milliers de tonnes de céréales ukrainiennes, dans le cadre de l’accord sur les céréales négocié d’abord entre la Russie et l’Ukraine avec l’aide des Nations Unies et de la Turquie, puis sous l’initiative unilatérale de l’Ukraine. Cela a permis de réduire le « monopole » russe sur le marché des céréales en Afrique, selon des experts.
L’Ukraine a également signé avec plusieurs pays africains des accords d’exemption de visas, comme cela a récemment été le cas avec l’île Maurice lors de la visite de Kouleba.
Un continent prometteur
Selon Romain Briadon, auteur dans le journal ukrainien « Obozrevatel », l’Afrique offre de larges opportunités à l’Ukraine. Certains de ses pays connaissent une forte croissance économique et possèdent un vaste marché de consommation jeune. Selon les Nations Unies, d’ici 2050, « un quart de la population mondiale vivra en Afrique ».
Briadon souligne l’influence croissante de l’Afrique sur la scène internationale, où les 54 pays représentent 28% des membres de l’ONU, tandis que l’Union africaine aspire à obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’organisation et est déjà membre du G20.
Il ajoute que plus de la moitié des pays africains soutiennent généralement les résolutions favorables à l’Ukraine, tandis que d’autres se contentent de s’abstenir pour maintenir une position neutre vis-à-vis de la Russie.
De nouveaux alliances
Dans cette optique, des pays comme le Ghana, le Libéria, le Niger et la Côte d’Ivoire se sont joints à la « Plateforme de Crimée » en 2022, visant à restaurer le contrôle ukrainien sur la péninsule. En outre, le Kenya, le Libéria, le Maroc et la Tunisie ont intégré le groupe de défense de l’Ukraine selon le format « Ramstein ». De plus, dix pays africains ont soutenu l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Cependant, aucune nation africaine n’a imposé de sanctions contre la Russie depuis le début de la guerre.
Briadon estime qu’il est crucial pour l’Ukraine de renverser cette situation en sa faveur, en combattant la désinformation russe en Afrique et en augmentant sa présence diplomatique ainsi que l’activité de ses entreprises sur le continent.
Une stratégie délicate
La guerre russo-ukrainienne a choqué le continent africain, perturbant les routes traditionnelles de l’approvisionnement alimentaire et provoquant une forte inflation des prix alimentaires.
Dans ce contexte, des experts estiment que l’Afrique représente un point d’entrée stratégique pour l’Ukraine afin d’attirer le « monde silencieux » contre la Russie et de changer les positions de nombreux pays d’Asie et d’Amérique Latine.
Victor Timofeïev, rédacteur au site « Korotko », observe que les dirigeants africains manifestent un intérêt croissant pour une résolution rapide du conflit et comprennent les conséquences des actions de Poutine.
Implications géopolitiques
Selon Timofeïev, la récente conférence Russie-Afrique de 2023 fournissait des indications favorables pour l’Ukraine, avec seulement 17 chefs d’État présents, par rapport aux 43 lors de la conférence de 2019. Cela pourrait signaler un changement de posture, jusqu’à potentiellement exercer des pressions pour sanctionner la Russie.
De plus, l’Afrique représente une opportunité pour l’Ukraine d’attaquer les intérêts russes, qui sont bien plus étendus et diversifiés que ceux de l’Ukraine sur le continent, bien que cela ne soit pas une mission facile.
Un enjeu de prestige
Timofeïev souligne que l’Afrique est un véritable terrain de profit pour la Russie, qui en tire des revenus illicites. Plusieurs pays africains sous contrôle russe versent directement de l’argent au Kremlin, tout en lui permettant d’exploiter de l’or, des diamants et d’autres minéraux.
Il conclut en affirmant qu’écarter la Russie des pays africains est une question de prestige géopolitique pour l’Ukraine et limiterait la capacité de Moscou à renouveler ses ressources pour poursuivre la guerre.
Bien que Kiev ait nié adopter de telles méthodes, beaucoup supposent que l’Ukraine pourrait soutenir toute initiative visant à contrecarrer l’influence militaire russe en Afrique, même si cela pourrait nuire à ses relations avec certains États africains.