Taïwan envisage sa capacité à contrer une tentative d’invasion chinoise en tirant les leçons de la guerre entre Israël et Gaza et de l’invasion russe de l’Ukraine. Taïwan est consciente que la Chine n’a pas exclu d’utiliser la force pour prendre le contrôle de l’île.
Le 7 octobre, le groupe armé palestinien Hamas a lancé une attaque surprise contre Israël, en lançant des milliers de roquettes qui ont rapidement débordé le système de défense aérienne de pointe Iron Dome d’Israël, tandis que des milliers de combattants ont infiltré le sud d’Israël par voie aérienne, maritime et terrestre.
La signification de l’attaque surprise du Hamas n’a pas été perdue pour l’armée taïwanaise, qui vit avec la promesse des dirigeants politiques de Pékin d’unifier Taïwan, sous gouvernement autonome, avec la Chine, par la force si nécessaire.
Dans la semaine qui a suivi l’attaque du Hamas, le ministère taïwanais de la Défense a annoncé la création d’une force opérationnelle chargée de tirer des enseignements de la guerre entre Israël et Gaza. Le ministre de la Défense de Taïwan, Chiu Kuo-cheng, a déclaré qu’une leçon initiale était que la collecte de renseignements serait cruciale pour contrer les menaces de la Chine.
Taïwan dispose également de la mer, a déclaré Tony Wei, âgé de 42 ans, membre de la réserve taïwanaise et dentiste de profession. Taïwan est séparée de la côte est de la Chine par un tronçon d’océan de 130 kilomètres connu sous le nom de détroit de Taïwan, qui agit comme une barrière naturelle et un système d’alerte précoce en cas d’attaque surprise de la Chine.
Malgré tout, l’attaque du Hamas – largement considérée comme inimaginable par les analystes militaires avant qu’elle ne se produise – a amené Wei à se demander si Taïwan possède véritablement les capacités nécessaires pour contrer une éventuelle détermination de l’armée chinoise.
« Les Israéliens ont une armée très puissante, un service de renseignement efficace et beaucoup de soutien américain », a déclaré Wei. « Si même Israël peut être surpris et débordé, qu’en est-il de Taïwan ? »
La guerre entre Israël et Gaza est la deuxième fois que le monde a été récemment surpris par une opération militaire considérée improbable jusqu’à sa mise en œuvre. « On disait que le président Poutine n’attaquerait pas l’Ukraine, mais il l’a fait, et on disait que le Hamas ne pouvait pas attaquer Israël, mais il l’a fait », a déclaré Wei, faisant référence à l’invasion russe de février 2022.
« Taïwan doit apprendre de ces attaques au cas où notre île deviendrait le prochain endroit où l’inimaginable se produit. »
Attaques surprises : savoir avant, répondre après
« L’attaque du Hamas a réalisé une surprise stratégique, opérationnelle et tactique contre les Israéliens », a déclaré Eric Chan, chercheur non résident à l’Institut taïwanais mondial, à Al Jazeera. « Taïwan a un intérêt fondamental à éviter ce type de surprise, surtout parce que son adversaire a des pouvoirs supérieurs à ceux du Hamas », a déclaré Chan.
« L’invasion russe, ainsi que l’attaque surprise du Hamas, ont démontré que, même si vous pensez que l’adversaire est dissuadé par des coûts élevés, il se peut que l’adversaire s’en fiche », a-t-il ajouté.
Fang-Yu Chen, professeur adjoint à l’université Soochow de Taipei, qui étudie les relations politiques entre Taïwan, la Chine et les États-Unis, a déclaré que la création annoncée par Taïwan d’une force opérationnelle à la suite de l’attaque du Hamas était une tentative d’apprendre des leçons afin d’éviter un échec des services de renseignement taïwanais face à la Chine.
« Taïwan recueille constamment beaucoup d’informations sur les activités de la Chine, mais ces informations doivent être vérifiées, analysées et transmises aux bonnes personnes », a déclaré Chen.
Selon Chen, Taïwan pourrait chercher à renforcer sa collecte de renseignements afin de s’assurer que les menaces crédibles de la Chine soient clairement identifiées avant qu’une catastrophe potentielle ne se produise.
« La prochaine considération majeure est ce qu’il convient de faire après qu’une attaque a déjà eu lieu », a-t-il déclaré. Le gouvernement taïwanais a également pris des mesures en ce sens. Davantage de fonds sont alloués à l’armée ; le service militaire obligatoire pour les citoyens taïwanais est prolongé d’un an, passant de quatre mois à un an ; l’achat de nouveaux systèmes de missiles a été annoncé, et le premier sous-marin construit localement de l’île a également été dévoilé plus tôt ce mois-ci.
Dans ses préparatifs, Taïwan a également regardé et appris de la guerre en Ukraine, selon Chen. Une leçon majeure de l’invasion de la Russie est l’importance de renforcer non seulement l’armée et le renseignement conventionnels de l’île, mais aussi ses capacités dans le domaine de la guerre de l’information afin de remporter la bataille du récit, a-t-il déclaré.
Guerre des récits
Chen a observé que les opérations d’information de la Chine à l’égard de Taïwan ont évolué depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. « Avant la guerre en Ukraine, la propagande portait souvent sur la manière dont les États-Unis abandonneraient Taïwan, mais après la guerre, elle a porté sur la manière dont les États-Unis poussent la Chine vers la guerre », a-t-il déclaré.
Parallèlement, Chen a constaté une polarisation de l’opinion publique à Taïwan, avec des personnes déjà disposées à combattre l’agression chinoise devenant encore plus disposées à affronter Pékin, tandis que celles qui ne voulaient pas combattre deviennent encore moins disposées.
Au milieu de cette bataille pour l’opinion publique et des efforts visant à influencer la détermination personnelle des Taïwanais, le gouvernement de Taïwan a lancé l’année dernière un ministère des affaires numériques qui a depuis introduit plusieurs mesures pour lutter contre la désinformation visant l’île et sa population. Dans la bataille des récits, il ne s’agit pas seulement de contrer la désinformation qui parvient à Taïwan, a déclaré Wei, le réserviste militaire, mais aussi de la manière dont Taïwan obtient le soutien d’autres pays.
Le président de Taïwan, Tsai Ing-wen, a également pris certaines mesures préliminaires pour y parvenir en encourageant l’île à raconter sa propre histoire au monde.
Grâce à la campagne « Give Taiwan a Voice », son administration a protesté contre l’exclusion de Taïwan des Nations unies et a cherché à mettre en valeur les contributions de l’île à la communauté internationale. Dans le même temps, Tsai a cherché à mieux intégrer Taïwan avec les pays d’Asie du Sud et du Sud-Est par le biais d’une soi-disant « politique orientée vers le sud » sous le slogan « Taïwan aide l’Asie, l’Asie aide Taïwan ».
Wei estime que de telles initiatives sont importantes si Taïwan veut remporter l’opinion mondiale face à une pression croissante de la Chine.
Pour Wei, l’importance de remporter le récit a été soulignée lors de la bataille d’information qui a éclaté entre Israël et le Hamas sur la responsabilité de l’explosion mortelle à l’hôpital arabe al-Ahli à Gaza.
Le combat pour convaincre le monde de l’ampleur et de la responsabilité de l’atrocité commise à l’hôpital a eu des conséquences importantes, puisque les réunions entre le président américain Joe Biden – le plus fervent allié d’Israël – et plusieurs dirigeants arabes ont été annulées après une indignation mondiale face à l’attaque.
Comme l’a souligné Wei, personne ne soutient ceux qui bombardent des hôpitaux, et personne ne peut remporter une guerre sans l’aide extérieure. Remporter la guerre de l’information, a-t-il déclaré, sera crucial pour Taïwan dans toute confrontation potentielle avec la Chine. « Alors, nous devons remporter la guerre des mots pour pouvoir compter sur le soutien international si les bombes chinoises frappent Taïwan ».