Djibouti propose à l’Éthiopie la gestion d’un port pour apaiser les tensions
Dans une annonce surprise, le ministre des Affaires étrangères de Djibouti, Mahamoud Ali Youssouf, a déclaré que son pays propose à l’Éthiopie la gestion complète d’un port situé dans le nord du pays afin de réduire les tensions croissantes dans la région. Lors d’un entretien avec la BBC le 31 août, Youssouf a mentionné que les tensions dans la région de la Corne de l’Afrique sont devenues « une source de préoccupation majeure » et que confier à l’Éthiopie l’utilisation exclusive du port de Tadjoura pourrait contribuer à apaiser la situation.
Ce projet avait été précédemment soumis à l’Éthiopie, et les discussions sur ce sujet devraient avoir lieu lors du sommet sino-africain entre le président djiboutien Ismail Omar Guelleh et le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed.
Contexte des tensions
La signature, au début de cette année, d’un mémorandum entre Addis-Abeba et la région autoproclamée du Somaliland, permettant à l’Éthiopie enclavée de louer un littoral en échange de la reconnaissance de cet État séparatiste, a suscité une crise entre Addis-Abeba et Mogadiscio, qui considère cet accord comme une violation de sa souveraineté.
Ce nouvel accord intervient alors que les tensions entre Djibouti et son voisin ont atteint un niveau sans précédent, notamment depuis l’arrivée d’équipements et de techniciens militaires égyptiens à Mogadiscio, suite à un accord de défense entre ces deux pays, ce qui donne à la crise une nouvelle dimension.
Une compétition stratégique
Les préoccupations économiques semblent être au cœur des inquiétudes djiboutiennes face à d’éventuelles actions futures d’une des parties qui pourraient impacter négativement leur dépendance mutuelle existante depuis des années entre Djibouti et Addis-Abeba.
- Depuis la guerre éthiopienne-érythréenne (1998-2000), Djibouti est devenu le point d’accès maritime de 95 % des exportations et importations éthiopiennes. Les frais portuaires constituent un revenu crucial pour Djibouti, estimé entre 1,5 et 2 milliards de dollars par an.
- En 2022, le produit intérieur brut de Djibouti était d’environ 3,5 milliards de dollars, dont 80 % provenait du secteur des services, en grande partie lié aux ports et services logistiques.
- Une montée des tensions entre Éthiopie et Somalie pourrait inciter Addis-Abeba à développer ses relations avec le Somaliland, entraînant un déplacement de son commerce vers le port de Berbera, ce qui serait désastreux pour l’économie djiboutienne.
Le port de Tadjoura, un enjeu stratégique
La proposition de Djibouti à Addis-Abeba pour la gestion du port de Tadjoura est également liée à des considérations économiques. Djibouti souhaite récupérer les coûts de développement du port, financés par des prêts totalisant environ 90 millions de dollars.
Le port de Tadjoura, avec des installations capables d’accueillir des navires de grande taille, a été principalement développé pour soutenir le transport éthiopien, notamment pour l’exportation de matières premières comme le potassium.
Aspirations diplomatiques de Djibouti
La diplomatie de Djibouti, similaire à celle de nombreuses petites îles ou pays en développement, repose sur des stratégies de médiation pour résoudre des conflits. Djibouti a joué un rôle actif dans de nombreuses médiations en Afrique de l’Est, facilitant des accords cruciaux, comme celui entre le gouvernement éthiopien et le Front populaire de libération du Tigré.
La proposition concernant le port de Tadjoura fournit à Djibouti l’occasion d’affirmer sa capacité diplomatique et de se positionner comme un acteur clé dans la recherche de la paix et de la stabilité régionales.
Implications économiques et défis
Bien qu’Addis-Abeba n’ait pas encore réagi officiellement à la proposition, Djibouti espère obtenir une réponse positive. La gestion du port de Tadjoura peut alléger les coûts de transport pour l’Éthiopie, qui peuvent atteindre jusqu’à 2 millions de dollars par jour.
Toutefois, la principale inquiétude d’Addis-Abeba reste la dépendance à un seul pays pour sa gestion portuaire, ainsi que les défis d’une stratégie maritime forte permettant un accès direct aux eaux internationales.
- D’une part, les préoccupations éthiopiennes pour une diversification des ports s’opposent à l’idée d’un port unique.
- D’autre part, des initiatives telles que le renforcement de la marine éthiopienne renforcent cette dynamique.
Tensions régionales et opportunités
Ces récents développements ne sont pas indépendants des réalités régionales, où des investissements des Émirats Arabes Unis et des accords de coopération militaire compliquent davantage la situation. Les propositions de Djibouti pourraient donc constituer une opportunité précieuse pour désamorcer les tensions dans un paysage géopolitique tumultueux.
La situation reste délicate pour une initiative qui pourrait bien être la dernière chance de réduire les frictions au sein de la Corne de l’Afrique, où les rivalités et les intérêts géopolitiques convergent, prêtant à toutes sortes d’interventions extérieures.