Sommaire
Les déchéances de nationalité, autrefois rares, se multiplient en France, notamment à l’encontre des binationaux condamnés pour des actes de terrorisme. Cette tendance soulève de nombreuses interrogations. La semaine dernière, trois nouveaux décrets ont été publiés, portant à 23 le total de déchéances prononcées depuis janvier, après 11 en 2023, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.
50 déchéances depuis 2019
Parmi les déchéances récentes, l’une d’elles concerne un Franco-Iranien suspecté d’avoir perpétré une attaque mortelle près de la tour Eiffel en décembre dernier. Il avait été condamné en 2018 à cinq ans de prison pour un projet d’action violente dans le quartier de la Défense (Hauts-de-Seine) en 2016. Au total, 50 déchéances ont été prononcées depuis 2019, uniquement contre des personnes condamnées pour des actes de terrorisme, comme l’a précisé Beauvau le 4 octobre.
Conséquences pour les personnes concernées
Pour les individus concernés, la déchéance de nationalité est vécue comme un véritable « séisme ». Cette mesure les prive non seulement de leurs droits civils et politiques en France, mais elle est appliquée sans tenir compte des efforts de réinsertion entrepris après leur condamnation. Me Stanislas Mandelkern critique ce processus, soulignant qu’il engendre un « effet retard très important et scandaleux ».
Me Pierre Lumbroso évoque une « double peine » pour un client, un Franco-Marocain condamné en 2015 pour des faits liés à une filière de départ de jihadistes. Bien qu’il ait été placé sous contrôle judiciaire, suivi un programme de déradicalisation et soit inséré dans la société, la déchéance qu’il a subie est jugée « incompréhensible et odieuse ».
Effets de cohorte depuis 2015
Les autorités semblent avoir opté pour une stratégie consistant à se débarrasser des fichés S condamnés pour terrorisme. Interrogé par l’AFP, le ministère de l’Intérieur n’a pas commenté ces cas, mais a affirmé que les chiffres reflètent une « volonté » d’utiliser cette procédure dans la lutte contre le terrorisme, particulièrement face à l’augmentation du nombre de détenus pour terrorisme arrivés en fin de peine depuis 2015.
La déchéance de nationalité, une sanction administrative prévue dans le code civil, nécessite un décret émis par le Premier ministre après consultation du Conseil d’État. Elle s’applique uniquement aux individus ayant acquis la nationalité française pour des motifs tels que la trahison ou le terrorisme, et doit être prononcée dans les 15 ans suivant les faits.
La question des bi-nationaux
La question de la déchéance de nationalité a été soulevée après les attentats de 2015. François Hollande avait souhaité son extension aux binationaux nés français, mais cela avait engendré de vives controverses, le conduisant à renoncer. Récemment, cette problématique a resurgi dans le cadre de la loi sur l’immigration, visant les binationaux auteurs de crimes contre les forces de l’ordre.
Débats et critiques
Me Vincent Brengarth souligne que la déchéance est une possibilité, mais n’est pas systématique. Il déplore que le débat sur son efficacité n’ait jamais été véritablement approfondi. Bien que des recours pour excès de pouvoir soient envisageables, les avocats constatent que les autorités disposent d’un large pouvoir d’action en la matière, avec très peu de chances de voir leurs décisions annulées.
La Cour européenne des droits de l’homme a été impliquée, rejetant en 2020 les requêtes de cinq binationaux condamnés pour terrorisme, affirmant que la France n’avait pas violé leurs droits fondamentaux. La systématisation des déchéances est perçue par certains comme une dévaluation de la peine pénale, sapant les efforts de réinsertion des condamnés et les laissant marqués à jamais par l’étiquette de terroristes.