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Un tribunal russe a condamné une pédiatre âgée de Moscou à cinq ans et demi de prison après que la mère de l’un de ses patients l’a dénoncée pour des commentaires qu’elle aurait faits concernant des soldats russes en Ukraine lors d’une consultation privée.
Contexte de l’affaire
Nadezhda Buyanova, 68 ans, a été accusée en janvier par l’ex-femme d’un soldat tué en Ukraine d’avoir qualifié le père de l’enfant de « cible légitime pour l’Ukraine » et d’avoir affirmé que la Russie était « coupable » dans le conflit actuel.
Buyanova a été emprisonnée sous des accusations de « diffusion de fausses informations » concernant la campagne militaire de la Russie en Ukraine. Depuis le début de l’invasion à grande échelle par Vladimir Poutine en février 2022, Moscou a largement utilisé une loi adoptée de manière précipitée contre la diffusion d’informations « fausses » pour museler toute forme de dissidence.
Défense et répression
L’affaire très médiatisée contre Buyanova, née à Lviv en Ukraine mais résidente de longue date en Russie, met en évidence la répression croissante en Russie alors que ses troupes poursuivent la guerre en Ukraine.
Dans sa déclaration finale, Buyanova, en larmes, a affirmé son innocence, soutenant qu’elle n’avait pas discuté de la guerre avec le garçon ou sa mère. La défense de Buyanova a argué qu’elle avait été ciblée en raison de ses origines ukrainiennes, notant que les procureurs n’avaient pas de preuves solides prouvant qu’elle avait parlé contre la guerre.
Atmosphère de peur
Aucun enregistrement audio de la consultation n’existe, et les procureurs se sont fiés au témoignage du garçon de sept ans et de sa mère, Anastasia Akinshina. Cette dernière a d’abord formulé des accusations contre Buyanova dans une vidéo rapidement relayée par des médias pro-Kremlin. « Je ne les laisserai pas balayer ça sous le tapis ! » peut-on l’entendre dire dans le clip.
L’affaire a rapidement gagné en importance, après quoi Alexander Bastrykin, le directeur inflexible du Comité d’enquête russe, a promis de la prendre sous son contrôle personnel.
Des observateurs affirment que la pression de l’État a créé une atmosphère de peur et de dénonciation, avec des voisins, des amis et même des membres de la famille qui se rapportent les uns aux autres, souvent anonymement, rappelant les pires répressions sous Joseph Staline. Un récent sondage a montré que jusqu’à 30 % des Russes avaient peur d’exprimer leurs opinions sur la guerre, même auprès de leurs amis et de leur famille.
Réactions et implications
Le cas a suscité de vives condamnations de la part des groupes de défense des droits de l’homme, avec Memorial, une organisation russe de défense des droits humains, classant Buyanova comme prisonnière politique. Un groupe de médecins russes a rédigé une lettre ouverte en défense de Buyanova, qualifiant la dénonciation de honte.
Ces derniers mois, les autorités russes ont intensifié la répression de toute expression anti-guerre, entraînant une série de peines de prison draconiennes. Vendredi dernier, un tribunal russe a condamné un homme à 13 ans de prison pour trahison après qu’il a été rapporté qu’il avait fait un don d’environ 48 euros à une œuvre de charité allemande soutenant l’Ukraine.
Son cas est similaire à celui de Ksenia Karelina, une citoyenne américano-russe qui a été condamnée à 12 ans de prison pour des accusations de trahison pour avoir donné 46 euros à une œuvre de charité pro-Ukraine.
Situation des prisonniers politiques
Memorial, actuellement interdit en Russie, recense près de 800 prisonniers politiques, dont beaucoup ont critiqué l’invasion de la Russie. L’organisation estime que le nombre réel est bien plus élevé, car ce décompte exclut ceux faisant face à des procès secrets.
Le média d’investigation Proekt a estimé que les autorités russes ont poursuivi plus de 116 000 activistes au cours des six dernières années, dépassant les niveaux de répression politique observés sous le règne des dirigeants soviétiques Nikita Khrouchtchev et Léonid Brejnev.