Les Houthis de l’intérieur : ce que vous ignorez sur eux
La croyance selon laquelle le groupe Houthi est le produit des deux dernières décennies de l’histoire du Yémen est erronée. Il ne s’agit pas simplement d’un mouvement politique émergeant des marges démocratiques post-réunification du nord et du sud du Yémen en 1990. En réalité, il est le prolongement d’un projet imamite qui a pris racine dans la province de Saada et les régions du nord, instauré par l’Imam Hadi Yahya bin al-Hussein al-Rassi en 893 après J.-C., et plus tard connu sous le nom de doctrine houthis.
Cette idéologie forme la base d’un système de plus de 1100 ans, basé sur la croyance en l’élection divine et la restriction de l’imamat et du leadership de la communauté à la descendance des deux petits-fils du prophète, Hasan et Hussein, jusqu’à la fin des temps.
Engagement tactique
Alors que cette pensée partage des similitudes avec le mouvement zaydite, elle s’en écarte sur de nombreux aspects. Elle n’adhère pas, par exemple, aux 14 conditions requises par le mouvement zaydite pour l’accession à l’imamat, comme ce fut le cas pendant le règne de la dynastie Qasimite qui a gouverné la majeure partie du Yémen, où le pouvoir est devenu héréditaire, ainsi que dans le dernier règne imamite du Yémen avant le déclenchement de la révolution du 26 septembre, soutenue par feu le Président égyptien Gamal Abdel Nasser dans les années 1960.
Les Houthis ont récolté les fruits de cette pensée et des efforts de leurs dirigeants qui se sont impliqués tactiquement dans le régime républicain qui a succédé à la révolution du 26 septembre. Ils ont renforcé leur présence au sein des institutions de l’État, ainsi que dans ses organes sensibles, faisant d’eux l’État profond au Yémen, si l’on peut les qualifier ainsi, et ont travaillé ardemment pour préparer le terrain pour un retour au pouvoir.
Suite à la réunification yéménite, le premier groupe de jeunes, connu sous le nom de « Shabab Al-Mu’min » (Les jeunes croyants), est apparu, exploitant les tensions ressenties par feu le Président Ali Abdullah Saleh vis-à-vis de la montée en puissance du Parti Al-Islah (Frères musulmans yéménites), ainsi que des divergences émergentes entre les deux principaux partis de la réunification : le Congrès populaire général dirigé par Ali Abdullah Saleh, et le Parti socialiste yéménite dirigé par Ali Al-Beidh. Ce groupe nouvellement formé a bénéficié du soutien implicite de Saleh, dans une tentative de jouer sur ces contradictions et de jongler avec les forces en présence.
Au début du siècle actuel, Hussein Badreddin Al-Houthi a renversé ses cofondateurs de « Shabab Al-Mu’min », selon le récit des principaux fondateurs, et rallié le mouvement par la suite devenu armé, connu comme le « Groupe Houthi », avant qu’il ne se baptise plus tard « Ansar Allah ».
Gains sur le terrain
Le fondateur de « Groupe Houthi », un membre du premier parlement après la réunification du Yémen, a mené sa première guerre contre les autorités gouvernementales en 2004, après des tensions antérieures au cours desquelles ses partisans ont pris le contrôle des revenus financiers et de certaines régions relevant de leur influence dans leur fief de la province de Saada, au nord du Yémen, dans une optique idéologique. Il a été tué lors du premier conflit cette même année.
Son petit frère, Abdul-Malik al-Houthi, a pris la tête du groupe par la suite, menant cinq guerres ultérieures jusqu’en 2010, au cours desquelles son groupe a réalisé des gains territoriaux expansifs et politiques en tirant parti des divergences déclarées et non-déclarées entre Ali Abdullah Saleh et ses partenaires militaires, tribaux et politiques au pouvoir, ainsi que de la dextérité de ses bras politiques qui ont joué un rôle habile dans l’affaiblissement du système au pouvoir.
Les événements du Printemps arabe et les protestations de la jeunesse yéménite contre le régime d’Ali Abdullah Saleh ont offert une opportunité précieuse aux Houthis, qui ont su manipuler les contradictions des forces yéménites en conflit et les forces engagées, les soutenant toutes deux tout en évitant de se brouiller avec le président en difficulté à cause des manifestations croissantes à son encontre, ce qui leur a permis de renverser le cours politique et de s’emparer de Sanaa par la force, ces mêmes forces qui frappaient à ses portes depuis 2009.
Leurs expériences accumulées dans le projet qu’ils représentent, l’expérience et l’habileté de leurs politiciens chevronnés leur ont permis de comprendre la sensibilité de leurs voisins, des puissances étrangères et leurs craintes vis-à-vis des partis et des groupes issus des printemps arabes, en particulier les groupes islamiques, pour jouer sur cette corde.
Position délicate
Alors que la guerre au Yémen renforce le pouvoir des Houthis sur le plan intérieur, les récentes attaques aériennes américano-britanniques ont légitimé leur présence à la fois au niveau arabe et islamique, leur accordant une sympathie extérieure qui leur est désormais essentielle et mettant leurs adversaires locaux dans une position délicate, d’autant que la question palestinienne recueille l’adhésion unanime de tous les secteurs de la population yéménite.
Il est indéniable que la solidarité des Houthis avec Gaza et leur ciblage des navires commerciaux liés à Israël, étendu aux navires américains et britanniques dans le golfe d’Aden et la mer Rouge, est une action audacieuse et importante dans le conflit. Cependant, les Houthis en ont largement profité en se présentant au monde comme un acteur clé de la région.
Nous n’exagérons pas en affirmant que les événements de Gaza ont permis aux Houthis de découvrir et de démontrer leur capacité à perturber le commerce international et ses routes maritimes.
Pendant ce temps, ils s’échappent aux problèmes internes qui les enfermeraient dans une situation difficile en raison de la colère croissante de la population suite à la détérioration des conditions de vie et à la suspension des salaires des employés depuis le début de la guerre, surtout avec les perspectives de paix annoncées à la fin de l’année dernière.
Une référence spécifique
Les événements à Gaza ont offert aux Houthis une opportunité précieuse de prouver la véracité des slogans qu’ils ont portés depuis leur émergence armée au début du siècle actuel, ainsi que de ce qui était inclus dans « Malaazem » par le fondateur du groupe, Hussein Badreddin Al-Houthi, qu’ils présentent comme le Coran parlant, agissant comme la référence intellectuelle du groupe, ainsi que le document intellectuel et culturel signé par le leader du groupe avec plusieurs érudits zaydites ces dernières années, confirmant un ensemble de principes, y compris l’idée de l’élection précédemment mentionnée, et l’hostilité envers l’Amérique et Israël.
Nous pourrions dire ici que le Groupe Houthi, bien qu’appartenant en apparence au mouvement zaydite, diverge sur de nombreux points et possède sa propre référence. Certains prétendent qu’ils ont renversé l’héritage du mouvement zaydite au Yémen.
En ce qui concerne sa relation avec la révolution islamique en Iran, ils ne cachent pas cette relation, mais en sont fiers. Ils exposent les symboles et les dirigeants de l’Iran lors de leurs événements, et s’harmonisent avec leurs idées. Ils ont grandement bénéficié du soutien iranien, bien que leurs racines remontent à avant la révolution khomeiniste en Iran, comme mentionné précédemment. Par conséquent, il n’est pas exclu qu’ils aient une vision particulière, surtout après la présence qu’ils ont récemment acquise sur le plan régional et international.