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<h2>Les élections du Parlement européen face à des défis majeurs</h2>
<p>Il existe un célèbre propos de l’ex-président français Charles de Gaulle affirmant que « la politique est une affaire trop importante pour être laissée aux politiciens ». Aujourd’hui, la crise européenne réside principalement dans le fait que la politique a justement été laissée aux politiciens – ceux qui, aveuglés par la quête de gains politiques, ne parviennent plus à envisager la réalité avec un regard tourné vers l’avenir.</p>
<p>J’ai lu une fois dans un journal allemand que l’ancien chancelier Helmut Schmidt avait l’habitude de se retirer trois jours par an avec des poètes pour se détacher du quotidien politique et renouveler sa vision des choses et son discours politique. Il est indispensable pour quiconque souhaitant élargir ses horizons et renouveler sa conscience politique de prendre une distance critique par rapport aux événements quotidiens, qui tendent à comprimer notre vision sous la pression de l’instant.</p>
<p>En observant les campagnes électorales précédant les élections européennes actuelles, on ne peut qu’être perplexe devant la superficialité des discours politiques et les idées banales qui n’ouvrent aucun nouvel horizon. La démocratie européenne semble alors traverser des moments difficiles, et le citoyen européen semble manquer de repères dans un paysage politique morose, ce qui le pousse à se rabattre sur des idées préfabriquées et populistes.</p>
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<h2>Une crise profonde au-delà de la politique</h2>
<p>La période historique que traverse l’Europe est marquée par la faiblesse et la crise, prédisant plus la désintégration que l’unité accrue. Certains chercheurs et penseurs estiment que l’impasse politique actuelle en Europe nécessite une analyse de l’état psychologique collectif. Sigmund Freud a écrit, dans les années 1930, sur l’anxiété qui hante la civilisation. Aujourd’hui, des études précieuses nous montrent que la superficialité politique actuelle est un reflet d’un état psychologique profond.</p>
<p>L’un des ouvrages importants qui mérite l’attention est « La Société de la fatigue » de Byung-Chul Han, un chercheur allemand d’origine coréenne. Bien que le style de l’ouvrage soit complexe et parfois répétitif, l’idée centrale demeure extrêmement pertinente : l’homme postmoderne, libéré des contraintes de la modernité, découvre qu’il est devenu lui-même la référence, ce qui lui ouvre de vastes perspectives d’action mais le plonge aussi dans un état de stress, d’épuisement et de dépression en raison de l’activité excessive qui accompagne cette liberté.</p>
<p>Han conclut que l’épuisement et la fatigue sont des caractéristiques inhérentes à l’homme et aux sociétés postmodernes. Il rejoint la chercheuse Bénédicte Delorme-Montini dans sa tentative de comprendre la difficulté de la période historique actuelle, en la reliant au système postmoderne philosophique et artistique. Son ouvrage « Le Moment post-moderne » établit une relation entre les revendications conflictuelles actuelles dans les sociétés européennes et les tendances identitaires et de genre, avec la déconstructionnisme apparue en Europe depuis les années 1970.</p>
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<h2>La fatigue de la civilisation européenne</h2>
<p>On comprend à travers ces ouvrages que la crise actuelle en Europe trouve son origine dans un système de pensée postmoderne. Cette crise découle en grande partie de l’incapacité du discours politique à s’adapter à l’esprit postmoderne, où l’homme semble tiraillé entre la joie de la liberté nouvellement acquise et la souffrance de l’absence de repères sociétaux, religieux ou éthiques.</p>
<p>La thèse d’un épuisement des sociétés européennes postmodernes trouve des échos dans plusieurs études culturelles et stratégiques. On peut citer, par exemple, l’ouvrage de Pierre Haroche, « Dans la forge du monde : comment le choc des puissances façonne l’Europe », qui souligne que l’Europe, dépositaire d’une longue histoire de conquêtes et de colonisation, souffre aujourd’hui de la perte de son rôle actif face à la montée des acteurs américains et chinois.</p>
<p>Selon Haroche, l’européen contemporain ne cherche plus à se positionner dans le monde, mais à retrouver une identité perdue dans un environnement global échappant de plus en plus à son contrôle. Ce phénomène est accentué par le conflit russo-ukrainien aux frontières de l’Europe, montrant l’incapacité du continent à gérer cette guerre avec assurance, indépendamment des États-Unis ou des divisions internes, et face aux défis posés par la Chine et la Russie.</p>
<p>Haroche soutient que le changement que connaît aujourd’hui l’Europe ne se limite pas à la politique, mais nécessite une nouvelle conscience historique. Le chercheur David Motadel appelle ainsi à une historiographie européenne intégrée au contexte mondial, pour comprendre correctement la place de l’Union européenne et se débarrasser des illusions de sa grandeur passée.</p>
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<h2>Une élection déterminante</h2>
<p>Les analyses et études mentionnées ici montrent la nécessité d’envisager les choses sous différents angles, au-delà du seul prisme politique.</p>
<p>Les élections européennes devraient représenter une opportunité pour aborder les grandes orientations intellectuelles définissant les relations des Européens avec eux-mêmes et avec le monde. Cependant, la réalité ne semble pas le permettre, car nous vivons depuis plus de vingt ans une nouvelle phase de gestion politique – celle que Julien Le Mauff appelle « L’Empire de l’urgence, ou la fin de la politique ». Le Mauff explique que cette phase repose sur des concepts originaux de gestion politique basés sur l’urgence, comme les attentats terroristes et les épidémies, pour paralyser les lois et la vie sociale.</p>
<p>En écoutant les représentants des grands groupes politiques au Parlement européen défendre leurs positions, on observe comment la guerre russo-ukrainienne est devenue un prétexte pour gérer l’instant politique. Sous couvert de la lutte contre la guerre imminente, les pires idées sont instaurées, les pires décisions prises, et les interdits transgressés.</p>
<p>J’ai été personnellement frappé par la réponse vague d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à une question sur une éventuelle alliance avec les partis d’extrême droite. Au lieu d’affirmer, comme auparavant, qu’une telle alliance était impossible, elle a laissé entendre diverses possibilités. Cela montre que les élections européennes peuvent remanier le paysage politique et marquer la fin de la modération, de l’ouverture et du centrisme.</p>
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<h2>Le futur de l’Europe en jeu</h2>
<p>Les campagnes électorales actuelles connaissent des batailles féroces autour de nombreuses questions essentielles, comme la suppression du droit de veto pour faciliter le consensus européen sur des questions cruciales. L’abolition de ce droit met en évidence le fossé entre ceux qui défendent la souveraineté nationale et ceux qui militent pour un renforcement de l’Europe, en vue d’une fédéralisation allant jusqu’à la possible élection d’un président unique pour toute l’Europe.</p>
<p>De ce point de vue, l’électeur européen est confronté à un choix difficile. Comme le montre le numéro de juillet 2014 de la revue « Sciences Humaines », qui présente l’image d’un enfant de deux ans avec une main sur la bouche, exprimant un doute et une difficulté de choix, sous le titre : « Devenir garçon, devenir fille ». De même, l’électeur européen, face aux blocs politiques, hésite à choisir celui qui lui convient.</p>
<p>En fin de compte, les élections européennes en cours ne concernent pas seulement la politique ; elles sont bien trop importantes pour être laissées aux seuls politiciens.</p>
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