L’Éthiopie vise l’accès aux eaux chaudes : une ambition réalisable ?
L’accord signé récemment entre le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le président de la région autoproclamée du Somaliland – non reconnue internationalement – a pris le monde par surprise. Cet accord confère à l’Éthiopie la souveraineté sur le port stratégique de Berbera, situé sur la mer Rouge.
Dans son discours de mi-octobre, source de controverses, Abiy Ahmed avait suggéré cet accord. Ce discours soulevait d’importantes questions sur les intentions de l’Éthiopie dans la région. Le Premier ministre évoquait la nécessité vitale pour l’Éthiopie, forte de ses quelque 150 millions d’habitants, d’avoir un accès à la mer, soit pacifiquement, soit par la force. En utilisant une expression ambiguë, il souligna que le Nil et la mer Rouge étaient essentiels au développement de l’Éthiopie, ce qui a fait naître la question : Pourquoi le Nil est-il mentionné dans un contexte lié à la mer Rouge, sachant que l’Éthiopie est l’une des sources du Nil et que sa légitimité sur celui-ci n’a jamais été contestée ?
La surprenante transaction du port de Berbera
Le monde avait les yeux rivés sur le conflit imminent entre l’Érythrée et l’Éthiopie concernant l’accès à la mer lorsqu’un accord énigmatique fut annoncé entre Abiy Ahmed et la région du Somaliland. L’accord porte sur un bail du port de Berbera, situé de manière stratégique sur la Mer Rouge, donnant sur le golfe d’Aden et le détroit d’Hormuz. Bien que les détails de l’accord n’aient pas été divulgués, les déclarations faites par les deux parties ont esquissé les contours de ce partenariat.
Le gouvernement du Somaliland a confirmé avoir autorisé l’Éthiopie à exercer sa souveraineté militaire et commerciale sur le port de Berbera pendant 50 ans. Sur le plan juridique, cela impliquerait que le territoire passerait sous propriété et direction éthiopiennes, concrétisant l’accès de l’Éthiopie aux eaux de la mer Rouge. La marine éthiopienne, en sommeil depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993, reprendra du service sur la mer Rouge, faisant de l’Éthiopie un acteur influent dans la sécurité de cette voie maritime cruciale. Ce n’est pas seulement un accord pour amplifier le commerce, mais un accord avec des implications géopolitiques et de sécurité majeures pour la région.
Le gouvernement du Somaliland a indiqué qu’en retour, l’Éthiopie a promis de reconnaître officiellement l’indépendance du Somaliland, un statut que la région n’a pas obtenu depuis sa séparation avec la Somalie en 1991. De plus, une source éthiopienne fiable a indiqué que le Somaliland recevrait une part des actions de Ethiopian Airlines, leader du transport aérien en Afrique. Une proposition alléchante, en effet.
L’intimidation face à l’ordre international
L’accord est confronté à de nombreux défis, notamment juridiques et pratiques, le rendant potentiellement sans valeur dans le cadre du droit international. Le gouvernement légitime de Somalie considère le Somaliland, autoproclamé « République du Somaliland », comme illégitime et a résolument rejeté l’accord. La Somalie a également rappelé son ambassadeur en Éthiopie dans un geste de protestation.
Cet arrangement, opaque et unilatéral, a été refusé également par d’autres pays de la région qui affirment que le Somaliland ne détient pas la légitimité juridique pour un tel accord. Djibouti, particulièrement lésé par cet accord, pourrait perdre des revenus substantiels dépassant un milliard de dollars – frais perçus pour le transit de 95% du commerce éthiopien par son port. En outre, une reconnaissance implicite de l’Éthiopie du Somaliland compromet les efforts du président djiboutien pour unifier le nord et le sud de la Somalie.
Quant à la réaction de l’Union africaine et de l’IGAD, elle reste jusqu’à présent timide et floue.
Le barrage de la Renaissance et la politique de la sourde oreille
Pour conclure, le Premier ministre éthiopien réitère que le Nil et la mer Rouge sont fondamentaux pour le développement de l’Éthiopie. L’implication est claire : l’Éthiopie utilisera la même approche insensible qu’elle a adoptée dans la gestion du dossier du barrage de la Renaissance. Malgré une décennie de dialogue et de réunions entre l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte, l’Éthiopie n’a jamais cessé de pousser le projet de barrage, désormais une réalité tangible. Malgré les inquiétudes et les solutions proposées par l’Égypte et le Soudan, l’Éthiopie refuse de signer tout document juridiquement contraignant concernant le remplissage et le fonctionnement du barrage.
Protégée par les puissances centrales et leurs alliés, l’Éthiopie continuera probablement de déployer sa politique de la sourde oreille pour obtenir une emprise sur la mer Rouge. Les mêmes alliés qui ont soutenu et financé la construction du barrage de la Renaissance sont ceux qui soutiennent l’Éthiopie dans son projet d’accès à la mer Rouge. C’est un message des plus clairs.