Entre pouvoir et rébellion : Tribalismes et enjeux en Syrie
Malgré tout ce qui se dit sur l’impact de l’État moderne sur les composantes sociétales, la tribu, en tant qu’acteur principal dans les événements majeurs traversant les pays, demeure au cœur des préoccupations des chercheurs. Elle est examinée pour interpréter les interactions sociologiques et anthropologiques sur la réalité et l’évolution des événements, ainsi que leur influence sur les grands tournants de l’histoire.
Depuis le début de la révolution en Syrie en 2011 et les événements qui ont suivi, la tribu s’est imposée comme l’un des principaux composants influents, mais également affectés par ces événements. Les débuts de cette implication ont été marqués par l’adoption du terme « Jum’at al-Ashayer » (Vendredi des tribus) pour désigner une des manifestations révolutionnaires, indiquant l’engagement de ces tribus dans les activités de la révolution syrienne.
Le paysage rural et tribal
Les appels à la « faza » lancés par les révolutionnaires à Deraa, sollicitant la participation des tribus syriennes pour faire face aux agressions du régime contre les manifestants bloqués devant la mosquée al-Omari, illustrent cette dynamique. Au fil des transformations de la révolution syrienne et des conflits impliquant de nombreux acteurs internationaux et locaux, les tribus ont maintenu une présence forte, avec leurs chefs participant activement aux développements. Cela va de la loyauté de certaines tribus envers l’État islamique (Daech), à leurs voyages à Genève pour négocier avec les puissances occidentales sur l’engagement militaire contre Daech, jusqu’aux relations compliquées avec les composantes kurdes, dont les Forces démocratiques syriennes (QSD), ainsi que la relation avec l’Iran et les États-Unis.
Dans ce contexte, un nouvel ouvrage vient enrichir le champ des études sur la Syrie, publié par le Centre Omran pour les études stratégiques, rédigé par les chercheurs Sasha Aloulou et Sakhra Ali, intitulé « La tribu et le pouvoir en Syrie : histoire et révolution ». Ce livre comprend une « étude sur la structure rurale et la carte des structures tribales et claniques dans les provinces d’Alep et d’Idlib après 2011 ».
L’histoire des tribus et clans
Les chercheurs exposent, dans l’introduction de l’ouvrage, la problématique de leur étude, déclarant : « Cette étude cherche avant tout à connaître l’histoire des tribus et des clans dans la géographie syrienne, notamment dans le nord-ouest, ainsi que la forme de leurs relations historiques avec les différentes autorités et les changements structurels qui les ont conduites à leurs formes actuelles. » Ils dressent ensuite une carte des structures tribales et claniques présentes dans les provinces d’Alep et d’Idlib, avant d’examiner leurs interactions et rôles post-2011, notamment l’expérience du déplacement forcé.
Les tribus et la révolution
Un des principaux points du livre est l’analyse des tribus actives dans le nord de la Syrie et la nature de leur relation avec le pouvoir central. Les chercheurs examinent les diverses transformations des tribus et des clans, et le rôle qu’ils ont joué lors de la révolution syrienne dès ses débuts en 2011.
Le deuxième chapitre aborde la réalité des tribus et des clans après 2011, divisée en plusieurs sections. Le premier sous-dossier, « Les tribus et la révolution », traite du cadre démographique, économique et culturel des tribus à Alep et Idlib au moment du déclenchement de la révolution, proposant une carte d’implantation de 25 tribus, comprenant 220 clans et 27 clans indépendants, répartis sur diverses composantes ethniques, telles que les Arabes, les Kurdes et les Turkmènes.
Le déplacement forcé
Le livre aborde également le phénomène du déplacement forcé comme une conséquence des événements en cours, en analysant les contextes politiques et militaires à l’origine de ces déplacements. Un inventaire des régions touchées par des déplacements forcés est proposé, illustrant les différentes étapes de ce phénomène entre 2012 et 2020.
La recherche présente également le rôle des conseils de tribus et de clans, en introduction après 2016, et leur impact sur les dynamiques locales, avec une attention particulière au point de vue de leurs membres et des implications futures de ces structures.
Alep et Damas
Le livre conclut avec des résultats de l’enquête de terrain sur la carte tribale des provinces d’Alep et de Damas, en présentant une analyse détaillée des tribus et de leurs rôles variés dans le paysage politique, militaire et social syrien. Les chercheurs soulignent le cheminement des tribus dans le contexte actuel et leur influence sur la gestion des relations de pouvoir.
Ce travail de 558 pages présente d’importants défis, notamment les conditions de sécurité instables dans le nord de la Syrie et l’accès limité au terrain, ce qui confère au livre une importance particulière dans le domaine des études syriennes.