Emmanuel Todd : l’Occident atteint le zéro religieux et s’effondre
Dans son livre « La chute finale » publié en 1976, l’historien et anthropologue Emmanuel Todd avait correctement prédit l’effondrement de l’Union soviétique. Aujourd’hui, comme le souligne le quotidien Le Figaro en entame d’une interview avec lui, il espère se tromper cette fois-ci en diagnostiquant la défaite de l’Ouest dans son dernier ouvrage.
L’interview menée par Alexandre Devecchio débute en interrogeant les raisons qui poussent Todd à prédire la défaite de l’Occident et quand prendra fin la « troisième guerre mondiale » qu’il avait déclaré avoir commencé il y a un an. Il répond que la guerre n’est pas encore terminée, mais que l’Occident a rompu avec l’illusion de la victoire possible en Ukraine, après l’échec de la contre-offensive de cet été et la réalisation de l’incapacité des États-Unis et des autres pays de l’OTAN de fournir suffisamment d’armes à l’Ukraine.
Todd explique que la défaite de l’Ouest repose sur trois facteurs : le premier est le déficit industriel des États-Unis avec la révélation de la nature illusoire du PIB, dû à un manque de formation en ingénierie et à la baisse du niveau éducatif depuis 1965.
Le déclin intellectuel
La disparition du protestantisme américain est le deuxième facteur de la chute de l’Occident, selon Todd, car l’ascension de l’Occident était basée sur l’essor du monde protestant : l’Angleterre, les États-Unis, l’Allemagne et les pays scandinaves. Le protestantisme a généré un haut niveau d’éducation et une éradication complète de l’analphabétisme, exigeant que chaque croyant puisse lire la Bible lui-même, alliant individualisme et communautarisme forts. Cela a conduit à un progrès économique et industriel important, avant de dévoiler les pires formes de racisme contre les Noirs aux États-Unis et contre les Juifs en Allemagne, marquant le début du déclin intellectuel, la disparition de l’éthique du travail et la cupidité collective appelée le néolibéralisme, transformant l’ascension de l’Ouest en chute.
Le troisième facteur derrière la défaite occidentale, selon Todd, est la préférence du reste du monde pour la Russie, qui a trouvé des alliés économiques secrets partout. La puissance douce conservatrice russe a pris son envol à mesure que la Russie semblait capable de supporter le choc économique, révélant notre modernité culturelle comme totalement folle aux yeux du monde extérieur.
Interrogé sur l’idée d’une guerre mondiale et sur un éventuel triomphe russe, Todd répond que les Américains chercheront à maintenir un statu quo qui leur permet de dissimuler leur défaite, mais que les Russes ne l’accepteront pas, conscients de leur supériorité industrielle et militaire directe, et de leur faiblesse démographique future. Ainsi, le président Vladimir Poutine veut atteindre ses objectifs de guerre et préserver les réussites du stabilisateur de la société russe, mais sait que les Russes doivent renverser l’Ukraine et l’OTAN maintenant, sans leur accorder de répit.
Todd ajoute que le refus de l’Occident de réfléchir à la stratégie russe, à sa logique, à ses raisons, ses forces et ses limites a conduit à une cécité générale. Sur le plan militaire, le pire reste à venir pour les Ukrainiens et pour l’Occident, car la Russie veut retrouver 40 % du territoire ukrainien et neutraliser le régime de Kiev.
L’ère du zéro
Todd décrit la stabilité russe, puis se dirige vers l’Occident et analyse l’énigme de la société ukrainienne en décomposition qui a trouvé un sens dans la guerre, puis la nature contradictoire de la nouvelle russophobie dans les démocraties populaires, puis la crise de l’Union européenne et enfin la crise des nations anglo-saxonnes et scandinaves.
Ce parcours vers l’Occident nous emmène, selon l’expert, vers le cœur de l’instabilité mondiale. La protestantisme anglo-américain a atteint l’ère zéro de la religion, créant un trou noir où la peur du vide aux États-Unis se transforme en l’adoration du néant et en nihilisme.
En le questionnant sur le lien qu’il établit entre le déclin de l’Ouest et la disparition de la religion, surtout de la protestantisme, Todd précise qu’il ne donne pas son avis personnel mais en tant que sociologue des religions, satisfait d’avoir un indicateur précis pour identifier la transition de la religion d’un état de zombie à un état nul.
L’auteur souligne que le concept de religion zombie est la disparition de la foi tout en conservant l’éthique, les valeurs et les capacités de travail collectif héritées de la religion. Aujourd’hui, la religion a atteint l’état zéro tant redouté.
Malgré sa tolérance personnelle concernant la diversité des orientations sexuelles, il insiste sur le fait que la focalisation des classes moyennes occidentales sur des minorités extrèmes soulève une question sociale et historique, affirmant qu’il est biologiquement impossible qu’un homme devienne vraiment une femme et vice-versa, et que cela nie la réalité du monde, s’engouffrant ainsi dans l’illusion.