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Pierre Gaussens, sociologue au Collège du Mexique, s’exprime sur les études décoloniales, un sujet qui suscite de vives controverses. Il est actuellement résident à l’Institut d’études avancées de Paris et a récemment coécrit, avec Gaya Makaran, l’ouvrage *Critique de la raison décoloniale. Sur une contre-révolution intellectuelle* (L’Echappée, 256 pages, 19 euros), qui rassemble des critiques des mouvements décoloniaux tout en étant ancré dans une perspective anticoloniale.
Les fondements des études décoloniales
Les études décoloniales ont été initiées par le groupe Modernité/Colonialité, un réseau interdisciplinaire créé au début des années 2000 par des intellectuels latino-américains, principalement basés aux États-Unis. Parmi les figures emblématiques de ce mouvement, on retrouve le sociologue péruvien Anibal Quijano, le sémiologue argentin Walter Mignolo, l’anthropologue américano-colombien Arturo Escobar et le philosophe mexicain d’origine argentine Enrique Dussel.
Une date charnière : 1492
Ce courant académique s’articule autour de l’idée que l’année 1492, marquée par l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique, représente un tournant décisif. Cette date aurait signalé le début d’un schéma de pouvoir colonial qui perdure encore aujourd’hui. Le concept de « colonialité » est central, décrivant les axes de domination raciale qui s’étendent à tous les domaines de la société : le pouvoir, le savoir, le genre et la culture.
Critique de l’eurocentrisme
Un autre aspect fondamental des études décoloniales est la critique de l’eurocentrisme, qui désigne l’hégémonie de la pensée occidentale. Cette approche met en lumière l’effacement des savoirs, des cultures et des mythologies des peuples colonisés. Les décoloniaux revendiquent dès le départ une ambition politique, cherchant à influencer les mouvements sociaux et les gouvernements de gauche en Amérique latine.
Une opposition aux études postcoloniales
Les études décoloniales ont vu le jour en réaction aux études postcoloniales, nées dans les années 1980 en Inde et répandues aux États-Unis. Les décoloniaux reprochent à leurs prédécesseurs de se limiter à une critique « scolastique », centrée sur des analyses littéraires et philosophiques, sans véritable visée politique.