# Commémorer les morts allemands du Débarquement sans nazisme
Après 8 décennies depuis le Débarquement de Normandie, les souvenirs de guerre planent encore sur le cimetière de La Cambe, où reposent des milliers de soldats de la Wehrmacht sur le sol français. Cependant, cette mémoire est encore incapable de séparer la commémoration du souvenir idéologique.
Situé sur une superficie de 7 hectares dans la ville de La Cambe et inauguré en septembre 1961, ce cimetière symbolique commémore les 21 300 soldats allemands tombés lors des batailles du Débarquement en été 1944, ainsi que 2100 membres de la branche militaire du parti nazi (Waffen-SS) enterrés dans la même nécropole.
Dans la ville, les panneaux de signalisation sont en français et en allemand, témoignant d’une ouverture culturelle et d’une réconciliation entre deux nations voisines après des décennies de conflit. Cependant, la commémoration des soldats allemands morts suscite un débat public sur l’héritage nazi de la ville.
## Mémoire ou récupération politique ?
La nécropole militaire allemande se trouve dans la ville de Calvados, en Normandie. Paradoxalement, le nombre de soldats enterrés y est nettement supérieur à celui des habitants vivants, qui ne dépasse pas les 500 âmes.
Le cimetière de La Cambe est le plus grand des 6 cimetières allemands en Normandie. Administré par la Commission allemande des sépultures de guerre, il attire annuellement environ un demi-million de visiteurs selon les statistiques françaises, soulignant son importance pour ceux qui recherchent les secrets d’une phase cruciale de la Seconde Guerre mondiale.
Retour en arrière jusqu’au 6 juin 1944 : le Débarquement allié en Normandie marque le début de la libération de la France et de l’Europe de l’occupation nazie. L’attaque menée par les forces américaines, britanniques et canadiennes inaugure la première phase de l’opération Overlord en Europe du Nord-Ouest, avec la participation de centaines de milliers de soldats venus de 15 pays.
Le journal français « Libération » pose une question claire à l’occasion du 80ème anniversaire du Débarquement en 2024 : comment peut-on commémorer les soldats allemands tombés sans célébrer le nazisme ?
## « Wehrmacht » et « Waffen-SS »
La « Wehrmacht » désigne les forces armées allemandes de 1935 à 1945, alors considérées comme les mieux armées au monde. Constituée de trois branches – terre, mer et air – une quatrième force a été ajoutée, incluant la branche militaire des unités nazies d’élite (SS), et appelée « Waffen-SS ». Au plus fort de la guerre, cette dernière comprenait 38 divisions, principalement composées de membres du parti nazi et de volontaires d’Allemagne et des territoires conquis.
Aujourd’hui, des réserves entourent la présence conjointe des restes des membres des Waffen-SS et de la Wehrmacht dans le cimetière de La Cambe, en raison des atrocités commises par chaque unité durant la période d’expansion nazie. Historiquement, la Waffen-SS est redoutée et associée à plusieurs exactions sur les fronts de guerre.
Le spécialiste de l’armée allemande sous le Troisième Reich, John Luc Lelo, déclare à « Libération » : « Cette distinction ne signifie pas que l’armée allemande était innocente comme le souhaitent certains généraux lors des batailles. En insistant sur la réputation de la Waffen-SS, nous comprenons qu’ils étaient impliqués dans les crimes d’Hitler, y compris l’Holocauste… Nous étions en 1944 sous une dictature qui exécutait les jeunes soldats refusant de porter les armes. »
En septembre 2004, Gerhard Schröder est devenu le premier chancelier allemand à participer aux commémorations du Débarquement. Généralement, les responsables allemands évitent de visiter La Cambe pour ne pas être perçus comme honorant les Waffen-SS. Schröder a préféré se rendre au cimetière britannique de Ranville, où repose également des soldats de la Wehrmacht.
D’après « Libération », plusieurs officiers supérieurs de la Waffen-SS, impliqués directement dans la propagande nazie ou dans des massacres comme celui du 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane, sont enterrés à La Cambe.
La professeure d’histoire et de civilisation allemande, Ylan Miard Delacroix, souligne la complexité de cette mémoire. Elle précise que « certains actes ne peuvent être attribués aux soldats qui peuvent parfois perdre le contrôle, mais à une idéologie raciste et destructrice ».
Par ailleurs, un membre de l’association allemande « Volksbund », active dans la préservation de la dignité des soldats allemands tombés et dans la promotion de la réconciliation historique, estime que « chaque victime de la guerre mérite un tombeau, indépendamment des actes commis ». Cette position repose sur les Conventions de Genève, qui imposent un respect absolu pour les dépouilles des morts lors des conflits armés.
## Morts de guerre et droit international humanitaire
Le droit international humanitaire exige le traitement approprié et le respect de la dignité des dépouilles des personnes décédées durant les conflits. Il impose également la recherche et la collecte des corps pour éviter leur disparition. Le droit international des droits de l’homme et le droit international en situation de catastrophe comportent des dispositions similaires pour garantir le traitement respectueux des défunts et la clarification du sort des disparus.
Les Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels précisent également que les parties en conflit doivent empêcher toute profanation des corps et interdire leur traitement dégradant.
Les parties au conflit international ont des obligations supplémentaires de vérification médicale des corps avant l’inhumation ou l’incinération pour confirmer le décès et identifier le défunt. Les familles des morts doivent avoir access aux sépultures, qui doivent être adéquatement marquées et entretenues.
## Histoire sensible des uniformes
Derrière les obligations juridiques et morales, le vieux conflit continue de hanter La Cambe et les commémorations du Débarquement. Les reconstitutions historiques des batailles de Normandie, impliquant des uniformes nazis, suscitent des controverses.
En 2007, les autorités avaient annulé à la dernière minute un événement des « Journées du patrimoine » impliquant des simulations de combats de La Manche, en raison des liens supposés avec des néonazis et de l’utilisation prévue des uniformes nazis. Cet événement a entraîné la dissolution de l’association organisatrice.
Avec la montée de l’extrême droite en Europe, y compris en Allemagne avec le parti « Alternative », ces reconstitutions sont perçues par certains comme une apologie voilée du nazisme.
Les autorités du Calvados ont averti en amont des festivités de 2024 qu’il serait interdit de porter les uniformes de la Wehrmacht pour ne pas dénaturer la commémoration historique.
La loi française punit d’une amende de 1500 euros toute personne arborant un symbole associé à une organisation criminelle, à l’exception des films ou des expositions historiques.
Bien que des officiers de la Wehrmacht aient été jugés lors des procès de Nuremberg, cette armée n’est pas techniquement classée comme « organisation criminelle », contrairement à la Waffen-SS.