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# Tunisie : stratégie vers l’Est, divorce avec l’Ouest ou ruse ?
La visite du président tunisien Kaïs Saïed en Chine marque une étape importante pour établir des alliances avec l’Est, diversifier les partenaires économiques et attirer des financements et des investissements, selon des observateurs. Cependant, ils considèrent peu probable que cette démarche conduise à un éloignement de son partenaire stratégique, l’Union européenne. Le président Saïed a effectué une visite officielle en Chine mercredi dernier, sur invitation de son homologue chinois Xi Jinping, pour participer au Forum de coopération sino-arabe. Cette rencontre a également vu la participation du roi de Bahreïn, Hamad bin Isa Al Khalifa, du président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, et du président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed Al Nahyane. Les rencontres entre les délégations tunisienne et chinoise ont abouti à la signature d’accords de coopération économique dans les domaines du développement, des échanges commerciaux, du développement durable et des technologies modernes. La Chine s’est engagée à réaliser des projets dans les secteurs de la santé, des infrastructures, de l’énergie, des transports, de la recherche scientifique et du tourisme.
Visite présidentielle en Chine
L’analyste politique Ahmed Khelaloui voit dans ce rapprochement entre la Tunisie et la Chine une étape clé initiée par le président Saïed pour raviver les relations historiques avec la Chine. Il affirme que l’orientation vers l’Est est dictée par les difficultés économiques que rencontre le pays à cause de coopérations déséquilibrées en faveur des intérêts des puissances occidentales. Selon Khelaloui, le président Saïed a choisi de diriger la Tunisie vers de nouveaux partenariats avec l’Est, convaincu que la Tunisie en tirera de nombreux avantages économiques et d’investissements, notamment avec la Chine, une puissance économique montante. Il voit une opportunité pour la Tunisie de se libérer de la domination des pays occidentaux. Khelaloui critique ce qu’il considère comme une domination française sur les relations économiques bilatérales avec la Tunisie, évoquant une forme de colonisation économique indirecte. Il souligne que la Tunisie n’a récolté que des bénéfices marginaux de cette relation. La Tunisie traverse une crise financière sévère due à l’augmentation de sa dette, à la baisse de ses recettes en devises et à la difficulté d’accéder aux marchés financiers internationaux pour emprunter, notamment en raison du blocage d’un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un prêt de 1,9 milliard de dollars sur quatre ans. ![Cliché de la rencontre du président tunisien Kaïs Saïed avec le président chinois / Pékin / mai 2024 (Page officielle de la présidence de la Tunisie)](https://aljazeera.net/wp-content/uploads/2024/06/1-1717491937.jpg?w=770&resize=770%2C534) La Tunisie et la Chine ont signé des accords de coopération économique lors de la visite de Saïed à Pékin (Présidence tunisienne).
Étape importante
De son côté, Hichem Ajoubni, leader de l’opposition au sein du parti Courant Démocratique, considère la diversification des partenariats comme essentiel pour éviter que la Tunisie ne soit trop dépendante des pays occidentaux. Le recours à l’Est est dû, selon lui, à l’échec de la Tunisie à conclure un accord avec le FMI. Ajoubni pense que la Tunisie pourrait chercher à établir des partenariats avec la Chine et la Russie comme une manœuvre pour obliger les pays occidentaux à assouplir certaines de leurs conditions concernant l’accord avec le FMI, que le président Saïed a refusé de signer à cause de la condition de suppression des subventions. Il indique qu’il n’est pas clair si l’orientation vers la Chine et la Russie est une stratégie délibérée du gouvernement tunisien ou une tentative d’attirer les pays occidentaux. Ajoubni note que l’intérêt de la Chine pour la coopération avec la Tunisie reflète sa volonté de s’assurer une présence dans des pays comme la Tunisie en raison de son emplacement stratégique. Ajoubni souligne également qu’il est improbable que la Tunisie s’éloigne de son partenaire traditionnel, l’Union européenne, puisque plus de 70 % des exportations tunisiennes se dirigent vers l’Europe, tandis que moins de 1 % sont destinées à la Chine.
Plan ou manœuvre ?
Selon l’économiste Rida Shkandali, l’intérêt de la Chine pour les pays arabes, y compris la Tunisie, s’inscrit dans son projet de la Nouvelle Route de la Soie. La capacité de la Tunisie à bénéficier de ce projet dépendra de sa capacité à élaborer une vision économique claire. Le projet « la ceinture et la route » est une initiative chinoise qui vise à relier la Chine au reste du monde en investissant des milliards de dollars dans les infrastructures le long d’anciennes routes commerciales reliant la Chine à l’Europe. Shkandali met en garde, soutenant que la Tunisie ne doit pas perdre ses partenaires historiques comme l’Union européenne, au risque de perdre les bénéfices tirés de son excédent commercial avec des pays européens comme la France, l’Italie et l’Allemagne. ![Sidi Boumendel Market in the heart of Tunisia’s capital, showcasing imported goods from China including ready-to-wear clothing, shoes, toys, and consumer goods (Al Jazeera)](https://aljazeera.net/wp-content/uploads/2019/11/ad1001ab-8b6e-4097-9f1e-cc250937a173.jpeg?w=770&resize=770%2C578) La Tunisie importe de Chine divers produits, y compris des vêtements prêts-à-porter, des chaussures, des jouets, et des biens de consommation (Al Jazeera). La Tunisie a enregistré un déficit commercial au premier trimestre 2024, notamment avec la Chine, qui exporte vers la Tunisie des textiles, vêtements, appareils électroniques, télécommunications et jouets, ainsi que la Russie, qui lui fournit du blé et du pétrole. Shkandali souligne les difficultés à exporter de la Tunisie vers la Chine en raison de la distance géographique. Le succès de cette coopération dépendra de la capacité de la Tunisie à négocier pour attirer les investissements et les financements dans un contexte de déficit budgétaire et de difficulté d’accès aux financements extérieurs. Le budget de la Tunisie pour l’année 2024 nécessite d’importants financements de l’ordre de 28,7 milliards de dinars tunisiens, dont 16,44 milliards de dinars de financements extérieurs (plus de 5 milliards de dollars). Le déclin de la notation souveraine de la Tunisie par les agences de notation aggrave cette situation.
Entre profits et pertes