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# La menace de l’État Khorasani enregistre au Tadjikistan
De nouveau, le gouvernement du Tadjikistan impose des restrictions strictes sur les manifestations islamiques, les liant à la lutte contre l’extrémisme et la crainte de l’influence de l’État Khorasani dans le pays.
Restrictions sur les manifestations islamiques
Dans un geste marquant, le parlement tadjik a adopté une loi interdisant le port de la burqa et du niqab aux femmes, justifiant cette décision comme une tentative de promouvoir la culture et les traditions nationales face aux cultures importées et de lutter contre l’extrémisme religieux.
La loi stipule une amende de 3500 somoni (monnaie du Tadjikistan), soit environ 322 dollars américains, pour toute femme portant la burqa.
Les observateurs considèrent cette loi comme une nouvelle restriction des libertés religieuses dans cet État d’Asie centrale où les musulmans représentent 90 % de la population.
Souleymane Dovlatzadeh, président du comité des affaires religieuses du Tadjikistan, a déclaré que « la décision est conforme aux exigences de notre époque et, en conséquence, l’importation, la vente et le port de la burqa dans les lieux publics ainsi que sa publicité sont interdits ».
Bien que la Constitution tadjike permette la liberté religieuse, le gouvernement du président Emomali Rahmon, en place depuis 1992, a mis en œuvre une série de mesures depuis 2010 pour contrer ce qu’il appelle le phénomène de l’extrémisme religieux.
Ces mesures incluent l’interdiction pour les jeunes de moins de 18 ans de fréquenter les mosquées, l’interdiction de laisser pousser la barbe, le bannissement du port du voile pour les écolières, des restrictions sur le pèlerinage à la Mecque et une ingérence dans le type de vêtements autorisés.
Les hauts responsables du gouvernement tadjik expriment leur inquiétude quant à l’expansion de « l’extrémisme religieux » dans le pays, d’autant plus que des rapports indiquent que 2000 Tadjiks ont rejoint les rangs de l’État Islamique, certains occupant des postes de haut rang comme le colonel Gulmurod Khalimov, ancien officier des forces spéciales du ministère de l’Intérieur tadjik.
Implantation de l’État Islamique au Tadjikistan
Le 27 mai 2015, Khalimov a rallié l’État Islamique en Irak, où il a été nommé ministre de la guerre par le calife Abu Bakr al-Baghdadi et a occupé ce poste jusqu’en septembre 2017.
Khalimov a reçu une formation des forces spéciales russes « Spetsnaz » et des militaires privés américains de « Blackwater ». Il a été tué, selon des rapports russes, le 8 septembre 2017 lors d’un raid aérien à Deir ez-Zor, en Syrie. Cependant, les autorités tadjikes n’ont pas confirmé officiellement sa mort, et son nom reste sur la liste des personnes recherchées par le gouvernement.
Le gouvernement tadjik a par la suite affirmé que plus de 1500 de ceux qu’il appelle « trompés » sont repentis et revenus au Tadjikistan avec leurs familles.
Lors d’une conférence de presse à Moscou le 28 juillet 2022, Zamir Kabulov, l’envoyé spécial du président russe pour l’Afghanistan, a annoncé que le nombre de combattants de l’État Islamique-Province du Khorasan était de 6000.
Le destin des combattants tadjiks après la chute de l’État Islamique
Bien que la véracité des propos de Kabulov soit incertaine, les observateurs n’excluent pas la présence d’un nombre significatif de ressortissants tadjiks parmi les militants actuels de l’organisation, notamment compte tenu des récentes attaques revendiquées par l’État Islamique, conduites par des citoyens du Tadjikistan.
- L’attentat sanglant à la salle de concert de Crocus City près de Moscou le 22 mars 2024, exécuté par des Tadjiks.
- Les attentats à Kerman et Shiraz en Iran, où les autorités iraniennes ont révélé que l’auteur de l’attaque de Shah Cheragh à Shiraz le 14 août 2023, Rahmatullah Norozov, était un citoyen tadjik, membre de l’État Islamique-Province du Khorasan.
- La participation d’un ressortissant tadjik à l’attentat-suicide à Kerman lors de la commémoration de la mort du général iranien Qassem Soleimani.
Le président tadjik Emomali Rahmon a récemment exprimé ses regrets concernant ces attaques, disant dans une déclaration télévisée : « Ces dernières années, certains citoyens du Tadjikistan ont commis des actes terroristes dans d’autres pays. Vingt-quatre citoyens tadjiks se sont fait exploser au milieu de grands groupes de personnes ».
Les autorités talibanes en Afghanistan ont affirmé à plusieurs reprises que les auteurs de nombreuses attaques revendiquées par l’État Islamique étaient des ressortissants tadjiks, y compris l’attaque de Kandahar ayant causé de nombreuses victimes.
Certains observateurs estiment que la pauvreté au Tadjikistan est une cause majeure du recrutement de ses jeunes par l’État Islamique. Selon un rapport du Fonds monétaire international, le Tadjikistan se classe 162e en termes de revenu annuel par habitant, et plus de 70 % de la population vit en milieu rural.
Pourquoi les jeunes Tadjiks sont-ils plus enclins à rejoindre l’État Islamique ?
Une grande partie de la population dépend des envois d’argent mensuels des travailleurs tadjiks à l’étranger, principalement en Russie. Des rapports indiquent que l’État Islamique profite de la présence de ces jeunes à l’étranger pour les recruter.
Le journal pakistanais « Dawn » a rapporté que « les gens au Tadjikistan se sentent souvent victimes d’injustice, ce qui les pousse à adopter des idées extrémistes ».
Le journaliste tadjik Sohrab Ziaa rapporte les propos d’un diplomate tadjik selon lesquels « dans la plupart des cas, les travailleurs tadjiks et leurs familles à l’étranger acceptent de coopérer avec Daech sans connaître la vérité, car les recruteurs envoient des sommes d’argent sur les comptes bancaires de ceux qu’ils recrutent, les transformant en combattants ».
Certains observateurs ajoutent que les conditions économiques ne sont pas l’unique facteur favorisant l’infiltration de l’État Islamique au Tadjikistan. La pression exercée par le gouvernement pour restreindre les libertés et les activités religieuses rend la situation encore plus propice à la montée du radicalisme.
Facteurs aggravants
Dans une interview à la BBC, le chef du parti de la Renaissance islamique interdit au Tadjikistan, Mohieddin Kabiri, a déclaré : « Le peuple du Tadjikistan est gouverné par une seule personne et une famille unique depuis 30 ans. Ce peuple vit des conditions de vie difficiles, avec la moitié de la population active travaillant à l’étranger dans des conditions précaires. Le Tadjikistan figure parmi les 15 pays où les niveaux de corruption sont les plus élevés et il est aussi parmi les plus pauvres ».
Kabiri souligne que ces conditions sont propices à la propagation de l’extrémisme et de la violence, « mais malgré tout cela, le degré de radicalisation parmi les jeunes tadjiks est encore inférieur à ce que l’on pourrait attendre vu la répression politique et la pauvreté omniprésente ».
Il explique qu’après l’interdiction du parti de la Renaissance islamique, les restrictions des libertés religieuses, ainsi que l’absence d’activité politique autorisée permettant la diversité, la scène a été laissée libre pour les idéologies extrémistes qui trouvent un terrain fertile dans le sentiment d’absence d’avenir parmi une partie des jeunes.
Un activiste politique tadjik, ayant préféré garder l’anonymat, a suggéré que certaines factions au sein du Tadjikistan pourraient orchestrer des mesures incitant les jeunes à la radicalisation et à la violence dans le but d’effrayer les pays voisins et de s’attirer davantage de soutien économique et sécuritaire de la Russie, de la Chine et des pays d’Asie centrale, exploitant les tensions régionales et la proximité avec l’Afghanistan où l’État Khorasani est actif.
La radicalisation guidée par intérêt ?
Il souligne que toutes les opérations militaires revendiquées par l’État Khorasani se sont déroulées en dehors des frontières tadjikes, ce qui soulève la question : pourquoi les auteurs des attentats tadjiks choisissent-ils leurs cibles à l’extérieur du Tadjikistan et non à l’intérieur ?
Quelles que soient les opinions et les analyses, les pays de la région s’inquiètent de l’éventualité que le Tadjikistan devienne une porte d’entrée pour l’influence de l’État Khorasani, servant de base pour mener des attaques armées en Asie centrale, en Russie et en Iran.