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Le laboratoire africain de la Russie, la conquête de Burkina Faso après l’adieu français
Au cœur de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, une affiche annonçant des cours gratuits de langue russe a été placée sur le grand et emblématique modèle d’un globe sur un carrefour que les habitants appellent le « rond-point des Nations unies ».
Dans les années 1980, l’Union soviétique (URSS) avait une forte présence en Afrique à travers des représentations diplomatiques et des centres culturels, y compris au Burkina Faso. Trois décennies après que la Russie eut quitté de vastes parties de l’Afrique à la suite de l’effondrement de l’URSS, des signes de son retour sont visibles au Burkina Faso, où les murs de la capitale sont ornés de graffitis pro-russes et des drapeaux russes flottent dans les rues.
« Quelque chose a changé, et c’est frappant. Vous pouvez le ressentir immédiatement en marchant dans les rues et sur les ronds-points », a déclaré un résident qui a souhaité garder l’anonymat par crainte de représailles du gouvernement, contrôlé par l’armée depuis un coup d’État en janvier 2022. À la suite de ce coup d’État, qui a renversé le président élu Roch Marc Christian Kaboré, des drapeaux russes ont commencé à apparaître lors de manifestations anti-françaises.
À un moment où le président russe Vladimir Poutine, qui cherche à être réélu pour un cinquième mandat à la tête du pays ce week-end, n’est plus le bienvenu dans de nombreuses parties du monde après l’invasion de l’Ukraine, Moscou est perçue comme une amie à Ouagadougou.
Une vue du rond-point des Nations unies à Ouagadougou le 5 novembre 2020 [Olympia de Maismont/AFP]
À défaut de la France
Le mécontentement à l’égard de l’influence française a grandi sur deux fronts. L’un d’eux est culturel. Un chercheur qui a préféré garder l’anonymat a expliqué que de nombreuses personnes au Burkina Faso ne s’identifient pas aux politiques progressistes qu’elles voient comme celles du pays d’Europe occidentale, telles que le mariage homosexuel, et jugent les attitudes russes moins permissives plus conformes à leurs propres valeurs.
“La Russie est populaire au Burkina Faso aujourd’hui parce que les gens en ont assez de la politique française”, a expliqué un professeur d’université burkinabè et chercheur qui a également préféré rester anonyme. “Les Russes ont senti que la France a mal négocié son virage avec l’Afrique. Elle est arrivée dans un pays en pleine rupture avec la France”, a ajouté le chercheur.
“Dans le cas du Burkina Faso, la Russie réalise des gains diplomatiques significatifs en se repositionnant dans des domaines qui ont traditionnellement été des bastions occidentaux. Et le meilleur, c’est qu’elle peut y parvenir à moindre coût”, a déclaré Newton Ahmed Barry, journaliste burkinabè actuellement en exil en France.
Des sacs de blé russe donnés au Burkina Faso sont affichés lors d’une cérémonie officielle de donation à Ouagadougou le 26 janvier 2024 [Fanny Naoro-Kabre/AFP]
Un ‘laboratoire’ pour l’expansion russe
Depuis lors, les signes d’un passage de l’influence française à l’influence russe sont de plus en plus apparents. À Ouagadougou, de grandes entreprises françaises comme le géant des télécommunications Orange ou la brasserie Brakina sont toujours présentes. Mais, en dehors de ces entreprises, des changements significatifs se produisent politiquement, diplomatiquement et, dernièrement, de plus en plus culturellement.
Ces « initiatives d’influence » rappellent celles en République centrafricaine (RCA), où la Russie, à travers le groupe de mercenaires Wagner, a étendu son influence dans le pays en 2018, puis vers d’autres pays de la région, tels que le Mali.
Les observateurs qualifient la RCA de « laboratoire » pour l’expansion de l’influence russe en Afrique sub-saharienne à travers Wagner. Bien que Wagner n’ait actuellement aucune présence officielle au Burkina Faso, ils affirment que ce processus se répète également là-bas.
Une bannière du président russe Vladimir Poutine est vue lors d’une manifestation en soutien au président burkinabè le Capitaine Ibrahim Traoré et pour demander le départ de l’ambassadeur et des forces militaires françaises, à Ouagadougou, le 20 janvier 2023 [Olympia de Maismont/AFP]