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Gabriel Attal et les valeurs républicaines mises à l’épreuve en banlieue
Avant l’entrée en fonction du président français actuel Emmanuel Macron à l’Élysée, des études de terrain menées par l’Institut Montaigne ont révélé qu’environ 48 % des électeurs des banlieues défavorisées ont voté contre aux élections présidentielles de 2017, contre seulement 29 % dans l’ensemble du pays.
Cette proportion a été considérée comme le reflet naturel d’une crise de confiance profonde dans ces régions à l’égard du pouvoir, en raison de l’échec des politiques successives à l’égard de la majorité issue de l’immigration dans ces quartiers.
Les Français attendent de voir comment cette problématique sera abordée, après l’ascension de Gabriel Attal, le plus jeune Premier ministre de l’histoire de la République française, qui est d’origine immigrée et est considéré comme l’un des proches conseillers du président Macron et son porte-étendard.
Politiques de droite
Avant son arrivée à l’Élysée, Attal avait déjà proposé des plans de réforme au ministère de l’Éducation sous la bannière de « Réduire l’écart social » dans les établissements scolaires. Il avait notamment proposé de réintroduire l’uniforme scolaire, une mesure soumise à une période d’essai dans environ 500 écoles volontaires, afin d’évaluer son impact sur la réussite scolaire.
Cependant, selon les observateurs, le défi le plus complexe pour Attal sera de combler les écarts sociaux entre les banlieues et le reste du pays en France.
Alors qu’on attendait du Premier ministre qu’il insuffle un nouvel élan aux slogans de gauche et à ses valeurs, son discours sur la politique publique n’a pas manqué de faire des références à droite, allant jusqu’à parler de « défendre l’identité et la fierté françaises » et mettre en place des mesures plus strictes pour réguler l’ordre et « contenir la jeunesse perdue » voire même d’évoquer « l’anomalie » comme un critère de changement au sein du plus haut organe gouvernemental en France en 2024.
Lutte contre le chômage
Après la réforme de l’assurance-chômage – l’une des réformes sociales adoptées fin 2021, comprenant des restrictions renforcées sur les allocations des demandeurs d’emploi – Attal entend aller plus loin en révisant le calcul des allocations chômage des demandeurs d’emploi. Les bénéficiaires des aides sociales seront désormais tenus de participer à des activités professionnelles et de suivre une formation d’au moins 15 heures par semaine.
Le gouvernement a déjà lancé en ce début d’année 2024 une plateforme pour enregistrer les bénéficiaires de ces aides, associée aux nouvelles conditions. Ainsi, la perception des aides sociales de chômage ne se fera plus automatiquement pour les chômeurs, mais selon un nouveau contrat avec l’État, une demande souvent propagée par la droite par le passé.
Le gouvernement affirme que cette mesure vise à préparer la réintégration dans le marché du travail, car les aides sociales ne suffiront pas à permettre à l’individu de vivre en dehors du besoin.
Cependant, cette mesure est perçue en pratique comme un coup porté aux quartiers défavorisés des banlieues ou « quartiers prioritaires », un quart de ces régions bénéficiant du revenu issu de l' »activation sociale solidaire » est presque le double de la moyenne nationale.
Grosse disparité
La question est non seulement liée au manque d’opportunités sur le marché du travail, mais ces régions souffrent déjà de disparités flagrantes dans les niveaux de revenu par rapport au reste du pays en France.
La plateforme statistique française « Statista » qualifie les banlieues de fracture sociale et de miroir de l’absence de justice sociale.
Ses données agrégées révèlent un écart important dans le niveau de revenu moyen de 1168 euros par habitant dans les banlieues par rapport à 1822 au niveau national, ainsi qu’un taux de pauvreté de plus de 43 % dans les banlieues contre 15 % au niveau national, et en ce qui concerne le taux de chômage dépassant les 18 % dans les banlieues contre 7 % au niveau national.
Michel Kokoreff, chercheur en sociologie à l’université de Paris, déclare à la chaîne de télévision « Oroonews » qu’il existe un certain obstacle racial en France « malgré sa réputation en tant que pays des droits de l’homme et berceau de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la souveraineté de la loi et de la démocratie, entre autres ».
Il illustre ce propos en commentant « En réalité, trouver un emploi quand votre nom est Bobker, ou d’origine malienne, est beaucoup plus compliqué que si votre nom était Bernard et que vos parents étaient nés en Bretagne (région du nord-ouest de la France). C’est un pays d’égalité sur papier, mais d’inégalité et d’injustice dans la réalité. »
Indicateurs sociaux
Parallèlement aux changements au sein du gouvernement et aux politiques déclarées avec le nouveau Premier ministre, les institutions officielles n’ont pas tardé à présenter des indicateurs sociaux, notamment sur la situation dans les banlieues.
Les données de l’Institut de statistique du ministère de l’Intérieur montrent une augmentation de tous les types de crimes et délits commis dans le pays en 2023.
Les agressions physiques ont augmenté de 7 %, les viols et tentatives de viol de près de 10 %, tandis que les meurtres et tentatives de meurtre ont continué de progresser depuis 2020, dépassant le nombre de victimes de ces crimes l’année dernière, avec plus de 4 000 personnes ayant été victimes de tentatives de meurtre.
Bien que les vols et agressions sexuelles dans les transports en commun aient diminué en 2023, le ministère de l’Intérieur a souligné que la majorité des auteurs de ces crimes avaient entre 15 et 24 ans.
Parallèlement, les vols visant les institutions industrielles et commerciales ont triplé, et le vol de voitures a augmenté de 27 %.
Enjeux des banlieues
La plus grande préoccupation des autorités françaises reste la situation dans les banlieues, qui représente le plus grand défi pour le nouveau Premier ministre.
En revenant sur les événements survenus après la mort du jeune d’origine algérienne Nael abattu par un policier à Nanterre, les actes de vandalisme intentionnel perpétrés par des manifestants en colère des jeunes des banlieues ont augmenté de 140 % entre juin et juillet 2023, par rapport à la même période l’année précédente.
Ces manifestations ont poussé les autorités à mobiliser environ 45 000 gendarmes pour maintenir l’ordre.
On craint que ces indications du ministère de l’Intérieur ne soient le prélude à une politique plus radicale à l’encontre des plus de 5,2 millions d’habitants des banlieues pauvres, et à davantage de restrictions vis-à-vis des migrants en général, sous la pression de l’extrême droite.
Jeter de l’huile sur le feu
Lors d’une interview avec Al Jazeera, Abd al-Majid Marrari, avocat spécialisé en droit international et directeur du département Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’organisation « FIDH » pour les droits de l’homme à Paris, a clarifié que la nomination d’Attal ne rassure pas ces régions et ne témoigne pas de la volonté du gouvernement de se réconcilier avec une partie du peuple français, même s’ils sont d’origine migrante mais sont des citoyens actifs dans plusieurs secteurs vitaux dans le pays ».
Ce défenseur des droits de l’homme n’a pas hésité à qualifier cette nomination de « jeter de l’huile sur le feu ».
Marrari argumente en mettant en avant les positions d’Attal sur les questions de l’immigration et de la minorité musulmane, outre les mesures prises pour réformer le secteur de l’éducation, dont l’interdiction du voile à l’école au nom de la « protection de la laïcité ».
Il déclare à Al Jazeera « Ces réformes ont prouvé leur échec. Les grèves successives dans le secteur en sont la preuve, ce qui reflète la continuation de la crise. Ses positions déclarées dans sa nouvelle fonction pourraient enflammer une guerre sociale. »
Attal s’est engagé, dans sa déclaration de politique publique, à appliquer l’autorité « partout, dans la salle de classe, dans la famille et dans les rues », et a annoncé son intention d’établir un système de sanctions éducatives contre les mineurs délinquants, consistant à les faire effectuer des « services » communautaires et une mesure similaire sera mise en place pour les parents des mineurs « qui se soustraient à leurs obligations ».
Marrari revient sur ces réformes et plans en les considérant comme une extension des politiques de droite qui ont marqué le projet de réforme de la loi sur l’immigration, affirmant que « les réformes du projet de loi sur l’immigration ont prouvé qu’elles ne sont pas conformes à la Constitution et aux valeurs de la République. Elles ne résoudront pas les problèmes des Français ».
Bien que le Conseil constitutionnel ait déjà exprimé des réserves sur un tiers du projet de loi controversé sur l’immigration, le gouvernement Attal devrait probablement poursuivre les réductions des indemnités de chômage, des aides sociales et la révision des droits à la couverture médicale.
Intentions de réforme
Ces plans ne correspondent pas aux intentions gouvernementales déclarées depuis des années, visant à allouer des investissements pouvant atteindre 12 milliards d’euros d’ici 2030, pour améliorer les conditions de vie dans les banlieues.
Dans ce contexte, le directeur du Centre arabe d’études occidentales à Paris, Ahmed Cheikh, affirme à Al Jazeera: « Le plus dangereux dans la loi sur l’immigration est qu’elle détourne la société française de ses véritables problèmes et de la réflexion sur les moyens de les résoudre, et cette loi et d’autres sont liées à la lutte politique ».
Cheikh poursuit dans ses observations « les problèmes de l’immigration sont exploités et utilisés à des fins dépassant le problème de l’immigration et des migrants qui sont finalement un bouc émissaire à deux reprises, une première fois quand ils ont quitté leur pays sous la pression de régimes dictatoriaux soutenus par les pays européens, et la seconde fois quand ils sont utilisés pour masquer les problèmes réels qui affligent la société française et européenne, les éloignant progressivement des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, et des droits de l’homme, voire du bon sens. »