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L’épreuve de la langue arabe : une blessure persistante
À l’approche de la « Journée mondiale de la langue maternelle », qui tombe le 21 février de chaque année, il est temps d’ouvrir un dialogue sérieux sur la situation de la langue arabe. C’est une occasion pour les locuteurs de diverses langues du monde entier de prêter attention à ce qui est arrivé à leur langue, en particulier à l’arabe, qui possède de nombreuses forces mais qui n’a pas été protégée ou exploitée adéquatement.
Il est indéniable que la langue arabe souffre de problèmes complexes, certains étant anciens et bien connus, sans trouver de solution depuis des années, et d’autres plus récents, clairement identifiés et nécessitant une réflexion sur des solutions.
L’évolution de la grammaire
Certains de ces problèmes concernent l’évolution de la grammaire, visant à la rendre plus accessible, une question déjà abordée par des érudits comme Taha Hussein et d’autres. D’autres sont liés à la recherche de termes appropriés pour suivre le développement scientifique et culturel, ainsi que l’influence de la globalisation sur le lexique, les concepts et les termes techniques qui évoluent presque quotidiennement. Il y a également un besoin d’une nouvelle rhétorique en termes de comparaison, de métaphore, d’exagération, de création d’images et d’imagination.
Un problème majeur réside dans la tendance à suivre de manière aveugle les dérivations linguistiques pour construire des concepts et des méthodologies. Il est devenu une caractéristique des recherches en sciences humaines dans les universités arabes, où les chercheurs se lancent souvent dans des reconstructions étymologiques en se référant aux anciens dictionnaires, oubliant que la langue est un être vivant qui évolue parfois en fonction du contexte social.
Le problème s’aggrave lorsque l’ancienne expression linguistique devient une référence pour la pensée moderne, attirant et influençant la création de modèles directeurs et de schémas de pensée.
Cependant, le problème ne se limite pas à cela, car les dialectes populaires ont envahi la langue arabe, perdant leur caractère oral d’antan pour devenir largement utilisés. De nos jours, la plupart des jeunes utilisent ces dialectes pour exprimer leurs opinions, positions, idées et sentiments.
Certains écrivains et intellectuels ont même commencé à publier en dialecte sur les réseaux sociaux, écrivant non seulement des discussions qui pourraient être influencées par les variétés régionales, mais également des descriptions, des analyses, des opinions, des déclarations de position et des expressions créatives.
Générations incapables de lire
Il est préoccupant de constater que des générations de diplômés de l’enseignement dans des pays arabes ne sont plus capables de lire correctement en arabe, ni même d’écrire dans cette langue. Ils communiquent souvent en anglais ou en français dans leur vie quotidienne, mélangeant parfois des mots étrangers dans leurs conversations. Certains peuvent même interrompre leur discours pour expliquer le sens d’un mot anglais en arabe.
Des diplômés d’écoles étrangères dans les pays arabes se retrouvent ainsi incapables de s’exprimer en arabe et utilisent d’autres langues comme moyen de communication. En effet, des barrières linguistiques se dressent alors, compromettant la communication entre les Arabes, allant du Maghreb au Golfe.
Efforts limités
De plus, les langues étrangères ont infiltré les marchés et les rues, reléguant la langue arabe au second plan, voire la reléguant dans l’oubli dans plusieurs pays. Les enseignes des magasins, les noms des hôtels et stades sont souvent rédigés en anglais ou en français, voire d’autres langues étrangères, même si certains commerçants choisissent d’écrire le mot étranger en caractères arabes.
Cela suscite l’indignation de nombreux défenseurs de la langue arabe, parmi eux le regretté penseur Dr Abd al-Wahhab al-Masiri, qui a même intenté en vain une action en justice pour exiger que toutes les enseignes publicitaires en Égypte soient rédigées en arabe.
D’un autre côté, l’éducation religieuse, en particulier celle dispensée par Al-Azhar en Égypte, accorde une attention particulière à la langue arabe. Les étudiants de ce cursus doivent non seulement apprendre le Saint Coran et mémoriser au moins mille hadiths du Prophète, mais aussi étudier la célèbre Alfiya d’Ibn Malik en grammaire.
Alors que certains préconisent la suppression de cette forme d’enseignement pour éviter la dualité entre éducation civile et religieuse, en insistant sur l’intégration de leçons sur la religion ou l’éthique dans les écoles publiques, d’autres craignent que de telles actions n’aient un impact négatif sur la langue arabe.
Certains souhaitent même que l’éducation religieuse elle-même fasse évoluer sa langue arabe, en évitant l’usage de termes obsolètes ou de vocabulaire dépassé, souvent en marge de l’évolution sociale et enraciné dans les dictionnaires anciens.
Des écrivains et des journalistes ont tenté de simplifier la langue, la rendant plus compréhensible pour un plus grand nombre de lecteurs. Naguib Mahfouz parlait ainsi d’une « troisième langue », ou d’arabe clair, qu’il utilisait, notamment dans les dialogues de ses personnages, en particulier quand ceux-ci étaient simplement des gens ordinaires. Tawfiq al-Hakim a adopté la même approche dans ses pièces de théâtre et ses histoires.
Un défi persistant
La langue arabe traverse donc une crise majeure. Les écrivains qui ne maîtrisent pas sa rédaction, les juges qui n’articulent pas correctement ses mots, la rigidité grammaticale et morphologique, l’invasion des dialectes populaires et la création de nouvelles métaphores, voilà plusieurs défis auxquels est confrontée la langue arabe.
Tandis que la langue vernaculaire tente de répondre aux besoins changeants des gens en adoptant un langage plus concis et en abandonnant les contraintes grammaticales souvent incompatibles avec une diction rapide, l’arabe populaire trouve son expression dans la poésie populaire, les proverbes, les sagesses, les récits, les épopées, les chansons et les contes populaires.
Ainsi, alors que la langue parlée s’adapte aux évolutions culturelles, les écrivains continuent souvent d’utiliser des métaphores anciennes, déconnectées de la réalité contemporaine. Cette dualité entre la colloquialité et la littérature formelle met en lumière les défis auxquels fait face la langue arabe, confrontée à un monde moderne en constante évolution.
La langue arabe est confrontée à une crise profonde, avec des écrivains ayant du mal à l’exprimer et des magistrats ayant du mal à la prononcer. Malgré cela, les dialectes locaux continuent de s’épanouir en inventant de nouvelles expressions, tandis que certains s’accrochent à des métaphores traditionnelles qui peuvent sembler dépassées dans le contexte actuel. Il est essentiel de travailler ensemble pour préserver et revitaliser la langue arabe face à une modernité exigeante qui ne cesse d’évoluer.