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Tensions Iran-Pakistan : échanges de tirs sous un même prétexte
Le bombardement iranien par missiles et drones de la région de Sabzkouh, près de la ville de Panjgur dans la province du Baloutchistan à l’ouest du Pakistan, soulève des questions sur l’avenir de la situation sécuritaire dans une région fragilisée depuis des années.
La réaction pakistanaise ne s’est pas fait attendre, Islamabad ayant répliqué par des frappes de missiles sur des zones de la province iranienne du Sistan-et-Baloutchistan, complexifiant la situation, notamment du fait que les deux pays ont utilisé le même prétexte pour le bombardement mutuel, à savoir « la poursuite des groupes terroristes armés ».
Selon l’agence Reuters, un responsable du renseignement pakistanais a déclaré que « le bombardement pakistanais visait des bases de l’Organisation de libération du Baloutchistan, un mouvement armé séparatiste baloutche actif à l’intérieur de la province pakistanaise du Baloutchistan ».
Bien que les relations entre les deux pays aient connu quelques tensions par le passé, ces frappes sans précédent entre deux voisines partageant près de 700 kilomètres de frontière terrestre sont une escalade majeure.
Questions sur le timing
Le bombardement iranien sur le sol pakistanais coïncide avec une rencontre entre le Premier ministre pakistanais par intérim Anwar ul Haq Kakar et le ministre des Affaires étrangères iranien Hussein Amir Abdollahian en Suisse, en marge de la réunion du Forum de Davos.
Ce raid précédait également une visite de Hassan Kazemi Qomi, représentant spécial du président iranien et ambassadeur en Afghanistan, à Islamabad dans le but de former un comité de liaison pour la coordination régionale sur l’Afghanistan.
En outre, le bombardement est survenu au même moment que la diffusion de nouvelles par l’agence de presse iranienne IRNA au sujet d’exercices militaires conjoints entre les forces navales pakistanaises et iraniennes.
Cette situation ouvre grandement la porte aux spéculations quant aux raisons de choisir ce moment précis pour l’escalade.
Prétextes des frappes croisées
L’Iran a annoncé que son bombardement à l’intérieur du Pakistan visait des bases de « l’Armée de la justice », qualifiée par les médias iraniens d' »Armée de l’injustice », l’accusant d’avoir des liens avec Entité sioniste et d’utiliser le territoire pakistanais comme base pour lancer des attaques militaires dans la province du Sistan-et-Baloutchistan en Iran.
Pour sa part, le Pakistan a condamné le bombardement iranien, le qualifiant de « violation flagrante » de sa souveraineté, et a empêché l’ambassadeur iranien de revenir à Islamabad, en plus d’avoir rappelé son ambassadeur de Téhéran en réponse au bombardement iranien.
Islamabad a souligné que toutes les options étaient sur la table pour répondre aux frappes iraniennes « injustifiées », selon les termes de la porte-parole officielle des Affaires étrangères pakistanaises, Zahra Baloch, alors que l’armée pakistanaise a riposté avec des frappes ciblant la province de Sistan-et-Baloutchistan.
Cependant, ce qui est notable est que le ministre des Affaires étrangères iranien a lié, dans une déclaration lors de sa présence au Forum de Davos, le bombardement par son pays d’objectifs au Pakistan, en Syrie et en Irak, au fait que ces cibles étaient liées à Entité sioniste et à son service de renseignements extérieur, le Mossad.
Ville de Panjgur dans la province du Baloutchistan, ouest du Pakistan (Agence France-Presse)
Messages à l’intérieur comme à l’extérieur
Ces déclarations ont été interprétées comme indiquant que les frappes interviennent dans le contexte des retombées de la guerre israélienne contre Gaza, de la situation dans le sud du Liban, des tensions au Yémen et dans la mer Rouge.
Les observateurs estiment que le bombardement iranien survient dans un contexte où Téhéran manifeste sa puissance en réponse aux menaces américaines et israéliennes, en raison de son soutien à la résistance en Palestine, au Liban et au Yémen.
Il s’agit d’un message indiquant que l’Iran est capable d’élargir la sphère de conflit contrairement à la volonté américaine qui tente de cantonner la guerre israélienne contre le peuple palestinien à Gaza.
Une autre possibilité pour expliquer les bombardements est qu’ils sont une réaction aux récentes explosions à Kerman, revendiquées par l’État islamique, mais dont l’Iran accuse le Mossad d’être responsable. Ainsi, le leadership iranien souhaite envoyer un double message, à l’intérieur comme à l’extérieur, sur sa capacité de réagir.
Escalade ou apaisement ?
Concernant la probabilité que la situation évolue vers une guerre totale entre les deux pays, les analystes jugent peu probable que l’escalade actuelle dégénère, compte tenu de plusieurs circonstances, y compris des raisons économiques et politiques qui empêchent la tension de s’intensifier vers une guerre.
La situation politique et économique au Pakistan ne permet pas une escalade avec l’Iran, surtout que le pays se prépare pour les élections parlementaires le mois prochain, et que les affaires du gouvernement sont actuellement dirigées par un gouvernement intérimaire non élu, qui ne peut pas prendre la décision de déclencher une guerre.
Dans le même temps, il n’est pas dans l’intérêt de l’Iran d’ouvrir un front de guerre avec le Pakistan, compte tenu des nombreux enjeux extérieurs, régionaux et intérieurs.
Dans un appel à l’apaisement, le cheikh Fazlur Rehman, chef du parti Jamiat Ulema-e-Islam du Pakistan, a invité son pays à ne pas intensifier les tensions avec l’Iran. De même, l’ancien Premier ministre pakistanais Imran Khan, lors d’une declaration rapportée par le journal pakistanais « Nawaiwaqt », a signalé que de mauvaises relations entre le Pakistan et l’Iran serviraient les intérêts d’Entité sioniste. Il a appelé depuis sa prison à Rawalpindi à résoudre les différends par le dialogue et les canaux diplomatiques.
L’activiste réformiste iranien Ahmad Zeid-Abadi a affirmé que les attaques de missiles entre l’Iran et le Pakistan ne peuvent pas continuer, car l’affrontement militaire ne sert les intérêts d’aucun des deux pays.
Pour éviter que de tels incidents ne se répètent, l’écrivain iranien Hassan Beheshti-Poor suggère de lancer une série de dialogues sécuritaires entre l’Iran, le Pakistan, l’Irak et la Turquie pour empêcher les terroristes de poursuivre leurs activités dans la région.
Méandres des relations
On ne peut ignorer les effets négatifs qu’un tel affrontement pourrait avoir sur les relations entre deux États voisins, notamment parce que les relations irano-pakistanaises ont connu des fluctuations dont certains observateurs estiment que le sectarisme est un reflet des liens entre les deux pays.
Des médias pakistanais ont accusé l’Iran de provoquer des problèmes et des affrontements sectaires entre sunnites et chiites, en soutenant des groupes chiites loyaux en Pakistan.
La situation a parfois dégénéré, avec des accusations portées contre Téhéran de créer une organisation armée nommée « Zainebiyoun », composée de jeunes chiites pakistanais engagés aux côtés des Gardiens de la révolution en Syrie, semblable aux groupes armés chiites afghans appelés « Fatimiyoun ». Cela représente un risque sécuritaire pour le Pakistan, qui craint de voir se répéter l’expérience des Talibans sous une autre forme.
Triangle frontalier
En outre, un autre facteur jette une ombre négative sur l’ensemble des relations entre le Pakistan et l’Iran, c’est l’escalade progressive des attaques armées dans la province iranienne du Sistan-et-Baloutchistan, ciblant principalement les forces de sécurité iraniennes, notamment les Gardiens de la révolution responsables de la sécurité d’un triangle frontalier entre l’Afghanistan, l’Iran et le Pakistan, s’étendant sur environ 300 kilomètres.
Ces attaques ont par le passé conduit à la mort et à la blessure de plusieurs officiers et soldats du corps des Gardiens de la révolution iraniens, et dans certains cas, des officiers supérieurs comme le chef adjoint des forces terrestres des Gardiens de la révolution, le commandant de la base Qods et le commandant des Gardiens de la révolution dans la province du Sistan-et-Baloutchistan, entre autres, furent tués.
Des groupes armés opérant depuis le Pakistan ont également à plusieurs reprises capturé des officiers et militaires iraniens, provoquant à chaque fois une certaine escalade limitée à la frontière, qui se résolvait rapidement.
Cependant, l’escalade cette fois-ci est bien plus conséquente que les précédentes, suscitant des craintes d’un potentiel conflit armé entre deux pays qui possèdent plus d’une raison de l’étouffer dans l’œuf. Par conséquent, il est probable que la situation ne s’aggrave pas et que les dirigeants politiques des deux pays cherchent des voies d’apaisement malgré les effets négatifs qui pèsent sur les relations entre les deux nations voisines.
Dans le cadre des efforts d’apaisement entre les deux pays, la Chine a exprimé sa volonté de médiation, avec la porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois Mao Ning déclarant lors d’une conférence de presse régulière que « le côté chinois espère sincèrement que les deux parties pourront se calmer, exercer la retenue et éviter une escalade des tensions. »