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La Syrie face à une menace de famine suite à l’escalade des prix
DAMAS – « Nous sommes au bord d’une famine, sinon c’est déjà commencé, » déclare Ghadeer, un enseignant de 36 ans dans une école de la banlieue de Damas, lorsqu’interrogé par Al Jazeera Net sur les difficultés des Syriens au début de cette nouvelle année.
Pour sa part, Sabah, 29 ans, une travailleuse et mère de famille déplacée de la banlieue d’Alep à Damas, s’est vue contrainte de vendre sa part de mazout pour rembourser des dettes croissantes, privant ainsi sa famille de chauffage dans leur appartement inachevé, qui devient « un frigo » la nuit, selon ses propres mots.
La population syrienne souffre d’une inflation constante, surtout en ce début d’année avec l’aggravation de la crise des services dont l’augmentation des coupures d’électricité, allant parfois jusqu’à 16 heures par jour dans la plupart des régions. L’absence d’électricité prive les résidents non seulement de chauffage mais aussi de moyen de cuisson au gaz, dont la disponibilité se raréfie et dont le prix s’envole sur le marché noir.
Environ 90% des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté depuis l’année 2021, selon des rapports des Nations Unies.
Crainte d’une famine imminente
Les prix des denrées alimentaires, des produits de première nécessité et des services ne cessent d’augmenter dans les régions contrôlées par le régime syrien à l’aube de la nouvelle année. Cette hausse affecte particulièrement la viande, les légumes, les fruits et la plupart des biens alimentaires, ainsi que les frais des services de base tels que les transports, les communications et la santé.
Le Programme alimentaire mondial a annoncé l’arrêt de son programme d’aide en Syrie au début de cette année en raison d’un manque de financement. Précédemment, il fournissait de l’aide alimentaire et des biens à 5,5 millions de personnes réparties dans toutes les provinces syriennes.
Un économiste syrien et chercheur à la London School of Economics, Zaki Mehshe, prévoit que la suspension du programme aura des répercussions négatives importantes, surtout que, selon des estimations officielles, la moitié des familles syriennes souffre d’insécurité alimentaire, ce qui signifie une augmentation des taux de pauvreté et des répercussions sur la santé publique, pouvant potentiellement conduire à une famine.
Détérioration des conditions de vie
L’aggravation de la situation économique des Syriens se résume en plusieurs causes, dont certaines sont le produit des années de guerre et d’autres plus anciennes, étant elles-mêmes à l’origine des mouvements de protestation en 2011 puis du conflit armé qui perdure.
Le chercheur précise les raisons suivantes :
- La domination des pratiques autocratiques et monopolistes, permettant à une économie de favoritisme de contrôler l’économie ou les sources de richesse en Syrie.
- Une perte dépassant 60% du PIB de la Syrie reflétant une crise économique profonde.
- La dépendance de la Syrie à l’importation, notamment pour des denrées alimentaires essentielles comme le blé, aggravant le déficit commercial.
- L’augmentation de la dette extérieure de la Syrie, particulièrement envers l’Iran pour les importations de pétrole, est un fardeau que porteront les générations futures.
- Les sanctions économiques imposées au régime, qui répercutent les impacts économiques sur la population plutôt que sur le cercle des favoris du régime.
- Des régions syriennes échappant à la mainmise gouvernementale, fragmentant l’intégrité économique nationale et réduisant l’accès aux ressources naturelles.
Malgré les perspectives pessimistes concernant une résolution politique, le chercheur affirme que l’absence d’une telle solution ne fera qu’aggraver et pérenniser les crises humanitaires et économiques.
La livre syrienne a perdu plus de 52% de sa valeur en 2023, avec un taux de change qui a atteint 14600 livres pour un dollar en janvier, contre 7000 livres au début de 2023. Le salaire moyen dans le secteur public tourne autour de 250 000 livres (17 dollars) alors qu’il atteint 600 000 livres (41 dollars) dans le secteur privé.
La réalité en chiffres
Une étude menée par le journal local « Qasion » a identifié une augmentation moyenne des coûts de la vie pour une famille de cinq personnes dans les régions contrôlées par le régime à plus de 12 millions de livres syriennes (environ 850 dollars) par mois, au début de cette année, alors qu’elle s’élevait à près de 9,5 millions de livres (environ 650,68 dollars) en septembre dernier.
L’étude a également noté que les coûts de la vie ont triplé en l’espace de 2023, tandis que les salaires ne couvrent désormais que 1.5% de ces coûts.
Bouée de sauvetage
Confrontées à la hausse des prix et à l’érosion du pouvoir d’achat des salaires, certaines familles syriennes sous le contrôle du régime comptent sur les envois de fonds de leurs enfants et proches expatriés pour subvenir à leurs besoins essentiels.
Cependant, la plupart des Syriens ont recours au transfert d’argent de manière « informelle » en raison des frais élevés de transfert par les entreprises concernées et de la différence entre le taux de change du dollar sur le marché parallèle et celui de la banque centrale.
Mehshe explique qu’une nouvelle étude de la Banque mondiale va montrer que près d’un tiers des familles syriennes comptent au moins un membre à l’étranger, et que la plupart d’entre elles dépendent des transferts d’argent des expatriés.
Wala, une économiste politique de Damas, suggère que ces transferts d’argent ont créé une nouvelle classe au sein de la société syrienne, qui n’est ni moyenne, ni extrêmement pauvre, et contribue de manière significative à soutenir le système politique et économique en Syrie.