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« Krada Maryam », un roman qui perpétue l’émerveillement
L’incertitude enveloppe le parcours de Raafat al-Sanoussi, romancier et poète du Sud de l’Égypte jusqu’en Irak ; au travers du personnage de Shahin, le protagoniste de son roman « Krada Maryam » – tirant son nom du fameux quartier bagdadien connu aujourd’hui sous le nom de « Zone Verte » – des dizaines de questions se libèrent pour exploser à chaque page des 249 pages du format poche.
Les labyrinthes du roman n’en finissent pas de s’ouvrir les uns à la suite des autres, permettant au lecteur de découvrir l’échec de l’écrivain à trouver un chemin optimal pour sa vie et son émerveillement, y compris en amour, supposé être synonyme de tranquillité et de paix. Finalement, il conclut que « l’amour est une grande perdition, et derrière les grandes erreurs, il y a un grand amour ».
Le héros du roman se convainc que son petit village et son monde sont ouverts aux douleurs et à la mort pour des futilités. « Dans notre pays, la sécheresse nous assiège, et les malheurs s’accumulent sur nos sentiments, et toute notre terre arabe ».
Du poème au roman
Al-Sanoussi représente un état créatif qui va au-delà du roman pour atteindre la poésie classique, comme le montre la traduction en français de son recueil « Ouverture pour un livre de fin de vie » chez « Éditions Délivrez », à Paris (2020). Ses sept ouvrages publiés témoignent de son trouble face à une réalité qu’il considère extrêmement cruelle, méritant seulement des questions abondantes pour chercher un sauveur des situations compliquées qui enveloppent toutes les contrées visitées par le héros de son roman.
L’auteur s’attache à révéler la perte de divers personnages ; y compris égyptiens, irakiens, juifs, soudanais, belges et autres. Ses personnages représentent tout le spectre de l’humanité, allant du mal persistant dans le personnage du maire totalitaire reniant toute beauté, jusqu’à Khadija, l’amour innocent qui se soumet à la vie, en passant par Jasser, le fils du narrateur juif semblable au personnage de Shylock dans l’œuvre de Shakespeare « Le Marchand de Venise », où Jasser incarne une version contemporaine de Shylock qui vend son ami Antonio et exige un livre de sa chair pour une dette inpayée.
Récit imbriqué
Le roman a été écrit pendant l’exil de l’auteur à la fin de 2019 et il transpire une poésie omniprésente depuis que son narrateur l’a dédiée « aux êtres chers qui ont habité mes romans », bien que l’auteur n’ait publié qu’un autre roman, « Tel al-Rumman », en 2017.
Chez le narrateur, l’amour se mêle à une délicatesse qui rappelle le personnage de Khadija « qui s’est enfuie comme une ombre et mon cœur l’a suivie, je l’ai appelé et il ne m’a pas entendu, que vous êtes un cœur tenace, insistant à obtenir votre part de l’amour perdant », dit le protagoniste du roman.
Mais le roman ne s’arrête pas à l’amour, il tente aussi d’atteindre la sagesse. Il définit l’exil comme « une tombe dans laquelle l’homme entre volontairement et vivant, puis est ressuscité lorsqu’il est tourmenté par la nostalgie et le désir ».
Dans le roman, l’auteur revient en Irak à la fin des années 90, et y retourne après la chute de Bagdad, faisant de la technique de la rétrospective narrative un fondement du récit.
Les douleurs denses
Al-Sanoussi considère la chute de Bagdad comme un tournant majeur dans l’histoire arabe contemporaine, et permet à l’événement de détruire les personnages bienveillants de son œuvre, révélant la fragilité de leurs sentiments et leur incapacité à relever les défis successifs. Spécialement avec « les étrangers qui sont morts en exil et sont revenus dans des cercueils hermétiquement fermés avec du plomb, et dans leurs narines l’air sec de l’exil, et l’envie de leurs proches que Dieu n’a pas destiné à être éteinte par des retrouvailles ».
L’auteur décrit tout le monde comme « fatigué », y compris les objets inanimés. Il dit par la voix d’un de ses personnages en Haute-Égypte : « J’ai poussé la porte, elle a émis un cri strident comme si je l’avais poignardée avec un couteau ». Quant au quartier bagdadien « proche des institutions vitales et des palais présidentiels », la fatigue a pris tout le monde à bras le corps, « comme si le rêve de Hashem, qui est parti rassembler les cœurs dans la robe de sa grand-mère, puis les a éparpillés ».